Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 263 – Les Hommes de Paille
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Chapitre 263 – Les Hommes de Paille

La lumière s’estompa brusquement à l’endroit où Ince Zangwill avait disparu, teintant la zone d’une obscurité des plus riches et des plus profondes.

On pouvait entendre des chants mélodieux. C’était calme et tranquille, hypnotique même. Les innombrables bras blancs qui s’agitaient sous l’eau noire parurent ralentir. Ils n’étaient plus aussi frénétiques qu’auparavant, on aurait dit qu’ils avaient obtenu la rédemption de leur âme.

Une silhouette sortit de cette “nuit noire”. Ce n’était autre qu’Ince Zangwill, qui venait d’être entraîné dans le monde des esprits.

Il avait perdu le bonnet qu’il portait sur la tête. Ses vêtements sur son épaule gauche étaient en lambeaux et un morceau de chair avait été arraché. De légères bulles de pus jaune surgissaient l’une après l’autre.

Son regard avait perdu son indifférence. Il était plein de douleur, comme s’il souffrait un tourment inimaginable.

La plume 0-08 poursuivit :

«  Certains regretteront, d’autres se réjouiront. Ince Zangwill détenait le cordon ombilical du dieu maléfique issu du bébé que portait Megose. Il provenait du Vrai Créateur. Grâce à ce cordon, il parvint à échapper aux entraves de l’entité inconnue et à forcer son retour dans le monde réel, mais il avait bel et bien perdu cet objet occulte. De plus, il allait subir l’ire de l’engeance du dieu maléfique qui ne pourrait pas naître dans un futur proche.

« Sa force était alors similaire à une marchandise dans un grand magasin lors d’un changement de saison : il ne lui en restait plus que 55%. Et ce chiffre est extrêmement précis. »

Dans une rue du Quartier Est…

Le vieux Kohler se hâtait de rentrer à l’appartement qu’il louait, un sac en papier contenant du jambon sous le bras.

Méfiant, il regarda autour de lui dans la crainte que les loups voraces qui l’entouraient ne se jettent sur lui pour lui voler son cadeau du Nouvel An.

Il avait déjà vu des loups lorsqu’il vivait encore à la campagne, mais à sa grande surprise, il retrouvait ce sentiment familier à Backlund.

C’est encore trop cher. Je ne peux que le couper et en partager le prix avec quelqu’un… Cela suffira pour les fêtes de fin d’année. Je pourrai manger deux tranches de jambon à chaque repas. Non, trois…ou plutôt cinq tranches. Je pourrais en couper quelques-unes et les faire mijoter avec les pommes de terre. Je n’ai même pas besoin d’ajouter du sel…

À cette pensée, le vieux Kohler regarda le jambon qu’il tenait sous le bras et à la vue des taches blanches mêlées à la viande rouge, sa gorge ne put s’empêcher de tressaillir et il avala une gorgée de salive.

Tout en marchant, il sentit le brouillard s’épaissir autour de lui. La tour de l’horloge de la cathédrale, encore relativement visible au loin, fut peu à peu engloutie par un mélange de noir et de jaune pâle. Les piétons qui se trouvaient à dix pas de lui n’étaient déjà plus que des ombres floues.

Le vieux Kohler eut soudain l’impression d’être oublié du monde et se couvrit le nez de sa main.

– « Pourquoi le brouillard sent-il si mauvais aujourd’hui ? » marmonna-t-il en accélérant le pas.

Un pas, deux pas, trois pas. L’homme sentit son visage s’échauffer. Son front était brûlant.

Sa poitrine se resserra, sa gorge lui faisait mal et bientôt, il eut du mal à respirer.

Serais-je tombé malade ? Bon sang, j’aurais voulu passer une bonne année et voilà que je vais devoir dépenser toutes mes économies à la clinique ou à l’hôpital… En fait, peut-être qu’un peu de sommeil me fera du bien. Un bon sommeil avec une couverture ! se dit le vieil homme tandis que sa tête devenait de plus en plus chaude et ses sens de plus en plus confus.

Il pouvait entendre sa respiration laborieuse. Il n’avait plus de force dans les mains et le sac de jambon tomba lourdement sur le sol.

Instinctivement, le vieil homme se pencha pour le ramasser et s’écroula.

Il agrippa le sac de jambon, s’efforçant de le garder dans ses bras.

C’est alors qu’il sentit d’épaisses mucosités qui remontaient dans sa gorge. Il se battait pour respirer, haletant.

Il y eut un bruit sourd et le pauvre homme, quoiqu’il eût la vue floue, vit quelqu’un tomber à quelques pas de là. C’était un homme d’une cinquantaine d’années – à peu près le même âge que lui – aux tempes argentées.

Soudain, il comprit qu’il était sur le point de mourir.

Il se souvint alors de sa femme et de ses enfants qui, comme lui, avaient été soudainement infectés par la peste et étaient morts peu de temps après.

Cela lui rappela l’époque où il était hospitalisé. Les patients qui partageaient sa chambre discutaient et riaient encore ce soir-là, mais le lendemain matin, on les envoyait à la morgue.

Il se rappela les amis qu’il avait connus lorsqu’il était sans abris. Beaucoup avaient disparu au cours de l’hiver et on les avait retrouvés raides sous un pont ou dans un endroit abrité du vent. Quelques-uns étaient morts pour avoir été brusquement privés de nourriture.

Il se rappela l’époque où, alors qu’il était encore un honnête ouvrier, des voisins de son quartier mouraient brusquement de cette façon. Certains décédaient suite à des maux de tête, d’autres tombaient accidentellement dans de l’acier en fusion, d’autres encore succombaient à toutes sortes de maux douloureux et de boursoufflures. Il arrivait même que certains, par groupes, s’effondrent sans bruit dans les usines.

Il se remémora ce qu’il avait entendu de la bouche d’un ivrogne dans un bar, alors qu’il était en quête d’informations.

« Les gens comme nous sont comme de la paille : un coup de vent et ils tombent. Ils peuvent tomber même quand il n’y a pas de vent. »

Le vent arrive… pensa le pauvre homme.

Serrant contre lui le sac de jambon, il fouilla dans la poche de sa veste élimée à la recherche de la cigarette fripée qu’il avait toujours refusé de fumer.

Il ne comprenait pas pourquoi, alors qu’il était en bonne santé, il tombait brusquement malade. Jamais il n’avait connu un brouillard aussi dense.

Il ne comprenait pas pourquoi il s’effondrait au moment même où sa vie reprenait son cours et prenait une direction plutôt agréable à ses yeux. De plus, le détective Moriarty venait de lui payer d’avance le jambon qu’il espérait tant pour la nouvelle année et qu’il avait hâte de déguster.

Le vieux Kohler sortit sa cigarette, mais il n’avait plus la force de lever le bras. Celui-ci retomba lourdement sur le sol.

Il fit appel à ses dernières forces pour crier ce qu’il gardait depuis longtemps, mais les mots fragiles restèrent sur ses lèvres et il ne put les prononcer.

Il entendit alors ses dernières paroles.

Il s’entendit demander : “Pourquoi ?”

Dans un appartement à la limite du Quartier Est…

Liv accrocha le dernier vêtement qu’elle venait de laver en attendant qu’il sèche.

Elle regarda le ciel, ne sachant pas vraiment l’heure qu’il était en raison de l’épais brouillard qui était tombé sans qu’elle s’en aperçoive.

– « Quoi qu’il en soit, il est encore tôt et nous avons terminé la lessive… », dit-elle, le visage grave.

Ce n’était pas vraiment bon signe que de finir trop tôt. Certes, elles allaient pouvoir se reposer, mais cela signifiait aussi qu’elles n’avaient pas assez de travail et que les revenus ne suffiraient pas.

Liv prit une profonde inspiration et se tourna vers Freja, sa fille aînée qui, s’essuyant les mains, jetait un regard vers le cahier de vocabulaire dans la pièce d’en face.

– « C’est bientôt le Nouvel An. La plupart de nos clients ont quitté Backlund et sont partis en vacances. Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Nous allons devoir trouver un nouveau travail », dit-elle en se dirigeant vers la porte.

« Durant cette période, les riches organisent banquets sur banquets. Ils n’auront sans doute pas assez de domestiques et peut-être engageront-ils des gens pour nettoyer les cuisines. J’ai l’intention de me renseigner. Reste à la maison, Freja. Tu iras chercher Daisy le moment venu. Certes, nous avons besoin d’argent, mais les voleurs, les bandits et les trafiquants d’êtres humains, eux, ont besoin de prostituées pour célébrer la nouvelle année ».

Dans le Quartier Est, toutes les femmes qui ne travaillaient pas dans les usines, si elles voulaient survivre, devaient se montrer suffisamment habiles ou combatives.

– « Entendu », répondit vivement sa fille, l’esprit préoccupé par le bureau et le cahier de vocabulaire dans la pièce adjacente.

Liv avait à peine ouvert la porte qu’elle trébucha et tomba sur le sol.

Elle fut prise d’une violente quinte de toux, son visage rougit et elle ressentit d’intolérables douleurs dans toutes ses articulations.

Paniquée, Freja se précipita et s’accroupit près d’elle.

– « Qu’avez-vous, Maman ? Que se passe-t-il ? »

– « Ce n’est rien (toux), je vais bien », répondit Liv qui commençait à avoir du mal à respirer.

– « Non, vous êtes malade, malade ! Je vous conduis immédiatement à l’hôpital ! » s’écria Freja en tentant d’aider sa mère à se relever.

– « C’est trop cher, trop… cher. (Toux) Allons dans un hôpital de bienfaisance. Un hôpital de bienfaisance. Je peux attendre. Ce n’est pas très grave », haleta Liv.

Freja fondit en larmes et sa vision se brouilla aussitôt.

Soudain, elle sentit ses poumons brûler. Vidée de toute force, elle tomba aux côtés de sa mère.

– « Que t’arrive-t-il, Freja ? (Toux). Tu es malade toi aussi ? », s’écria Liv, anxieuse. « Il y a de l’argent…(toux)… dans le placard…(toux)… le trou dans le mur. Va vite à l’hôpital ! Trouve un bon… un bon docteur ! »

Freja tenta de dire quelque chose, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Son regard se tourna vers la porte non loin d’elle.

C’était leur chambre, leurs lits superposés, avec sa petite table préférée et son cahier de vocabulaire.

Son corps, brusquement, tressaillit.

La toux de Liv se tut.

À l’école primaire publique située à la périphérie du Quartier Est, le brouillard n’est pas encore très épais, mais de nombreux élèves avaient commencé à tousser.

L’enseignante, qui avait de l’expérience, ordonna aussitôt :

– « Vite, à la cathédrale. Il faut aller à la cathédrale d’à côté ! »

Paniquée, Daisy se leva et suivit les autres en direction de la cathédrale voisine de l’école.

Soudain, son cœur se mit à palpiter et horrifiée, elle sentit qu’elle perdait quelque chose d’important.

… Mère… Freja .

Daisy tourna brusquement la tête avec l’intention de se précipiter chez elle à contre-courant de la foule.

Mais elle ne le put pas. Ses professeurs l’agrippèrent et l’entraînèrent de force vers la cathédrale.

– « Maman ! Freja ! » cria à pleins poumons la jeune fille en se débattant. « Maman ! Freja ! »

Que ce soit dans le Quartier Est, le quartier des docks ou celui des usines, les personnes âgées ou souffrant de maladies latentes, tels des arbres abattus, s’effondraient les unes après les autres dans le brouillard et ceux qui entrent en contact avec ces gens avaient l’impression d’avoir été contaminés par la peste. Ils mouraient rapidement, et même les adultes et les enfants valides étaient pris de légers malaises.

À leurs yeux, ce brouillard jaune pâle et noir évoquait la Mort qui s’abat.

En ce mardi de la dernière semaine de l’an 1349, Backlund se retrouvait noyé dans la brume.

Dans un coin de la salle, Klein se plaqua contre le mur de pierre pour ne pas être découvert par Mr. A.

Bientôt, il entendit des gémissements étouffés et sentit l’odeur de la chair et du sang.

Puis la voix de M. A retentit :

– « Donnez votre vie pour le Seigneur ».

Klein entendit le bruit de personnes qui s’effondraient et une forte fluctuation d’énergie spirituelle se fit sentir.

M. A aurait sacrifié ses quatre assistants ? Au moment même où cette pensée traversait son esprit, des lamentations immatérielles se firent entendre. Certains appelaient leur mère, d’autres toussaient violemment, d’autres encore gémissaient de douleur.

En tant que semi expert en sciences occultes, Klein eut l’impression de voir une série de silhouettes mécontentes et transparentes pénétrer l’une après l’autre le rituel, suivies par les années de torpeur, de désespoir, de douleur et de ressentiment provenant du quartier des docks, de celui des usines et du Quartier Est.

Cela a-t-il officiellement commencé ? Le jeune homme ferma les yeux et, adossé au mur, serra et desserra sa main droite.

Pour lui, la meilleure chose à faire en cet instant était de s’éclipser et de fuir au loin pendant que M. A se concentrait sur le rituel.

Plusieurs fois de suite, il serra et desserra la main.

Sept ou huit secondes plus tard, il rouvrit les yeux tandis que les coins de sa bouche se relevaient de manière excessive.

Saisissant son revolver, il s’élança brusquement hors de sa cachette.

Vêtu de sa redingote noire à double boutonnage, il leva la main droite et visa l’autel.

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