Début de soirée. La nuit approchait. La douce lumière du crépuscule planait sur Byzance, jouant avec les rues éclairées par les lampes.
April Showers était l’un des premiers lieux de divertissement de la ville. Des femmes belles et talentueuses y dansaient, la nourriture y était de la plus haute qualité et les hommes d’affaires y buvaient à satiété tous les soirs. Mille pièces d’or ne suffisaient pas pour profiter de tous les plaisirs de cet endroit, mais même ainsi, il était rare que des nobles y soient espionnés.
Dans tout pays élyséen, la noblesse était un élément important du régime théocratique. Riche mais raisonnable était la norme, car la règle de la foi et les principes de la religion étaient profonds. Les nobles qui accédaient au pouvoir devaient s’y conformer. Ceux qui choisissaient de vivre dans la décadence étaient peu nombreux.
Mais rien n’était absolu. Partout où les gens se rassemblaient, il y avait des exceptions et, de plus, la nature humaine était à la recherche du confort. Comme les dieux ne le refusaient pas explicitement, des lieux comme April Showers avaient fait de bonnes affaires malgré les stigmates.
L’un des habitués les plus offensifs était le troisième fils du gouverneur, Lance.
Le jeune noble passait ses journées à boire, ce qui accentuait son caractère déjà vicieux. Il dominait souvent les autres, malmenait ses clients et semait la zizanie. Malgré cela, le gouverneur chérissait ses trois fils comme des princes. Tant que leurs frasques n’allaient pas trop loin, les problèmes étaient ignorés ou compensés.
« Buvez ! Continuez à boire ! »
Comme à l’accoutumée, le jeune maître se reposait contre une paire de cuisses crémeuses dans une petite pièce. Une douzaine de beautés étaient étalées sur les canapés, mangeant et buvant dans un spectacle décadent.
« Le troisième maître en a assez ! » Un intendant du gouverneur se lamenta : « Si le gouverneur l’apprenait, il serait à nouveau furieux ! »
« Nous prenons le jour par les couilles et nous nous préoccupons du lendemain quand il arrive ! Je m’amuse un peu. Qu’est-ce qui te préoccupe ? Va te faire foutre si tu as un problème. Personne ne t’a demandé ton avis ! »
Lance cracha une gorgée d’alcool au visage de l’intendant. L’homme, connaissant le tempérament de Lance, s’en alla avec une grimace.
« Ils sont sur le point de m’envoyer à la capitale. Je propose qu’on s’amuse un peu avant que je parte, d’accord ? » Lance tourna la tête, fixant les femmes avec des yeux imbibés de vin. Il attrapa la plus proche et commença à la tripoter. « Gendre du gouverneur de la capitale, membre de sa grande famille ! Heh, imaginez le genre d’homme que je serai alors ! »
« Le troisième maître veut partir ? »
« Nous ne voulons pas être sans le troisième maître !
Les filles gémissaient et roucoulaient, se rapprochant de lui dans une démonstration d’affection.
« Je ne veux pas non plus vous quitter, mesdames, mais ce n’est pas à moi de décider ». Il gloussa et prit une nouvelle gorgée de vin. « Depuis que je suis tout petit, elles me méprisent toutes. Ça me fera du bien de les laisser derrière moi ! »
« Ce n’est pas vrai, jeune maître. Vous êtes un honorable chasseur de démons ! Qui oserait vous mépriser ? »
« Vous pensez que les chasseurs de démons ont du pouvoir ? Peut-être, mais seulement sur les gens ordinaires. Pour quelqu’un comme moi, né dans une famille importante, tout le monde est chasseur de démons. Qu’est-ce que ça a de spécial ? » Lance repoussa la jeune fille d’un air ivre. « J’ai trop bu. J’ai envie de pisser. »
Personne ne remarqua la silhouette sombre perchée sur la poutre du plafond. Enveloppée de noir, elle ressemblait à s’y méprendre au fils du gouverneur, à l’exception de son expression.
Cloudhawk avait observé le jeune homme mener sa vie luxueuse avec un certain intérêt. L’histoire de Stormford était paisible, sans que des forces extérieures ne causent de problèmes. C’était laxiste et confortable ici. Surtout dans un endroit comme Byzance – une grande ville, mais pas très importante – ces repaires de décadence étaient aussi nombreux que les églises.
Les femmes comme elles, les chanteuses et les danseuses qui se vendaient pour de l’argent, étaient absentes à Skycloud. Du moins en apparence. La famille Cloude veillait à ce qu’un commerce aussi répugnant ne vienne pas ébranler la pureté de son royaume. Les filles qui travaillaient ici étaient soit issues de familles pauvres, soit gâtées par le crime et forcées de se prostituer.
Le jeune maître, ivre, trébucha dans le couloir. Il poussa la porte des toilettes, mais avant d’entrer, il s’arrêta net. Même dans son état d’ébriété, il fut surpris par la présence, dans l’embrasure de la porte, d’un homme qui lui ressemblait exactement. Pendant un instant, il ne sut pas s’il était en train de rêver.
Lance ouvrit la bouche pour crier, mais en vain. Son image miroir claqua des doigts et une force se répandit dans la zone. Lance eut beau essayer de crier et d’appeler, personne n’accourut. Au même moment, il sentit un terrible pouvoir s’emparer de lui.
Quelle force incroyable, effrayante ! Quel était ce démon ?
Il n’avait pas besoin de se battre contre cette copie pour se rendre compte qu’il était plus fort que tous ceux qu’il avait rencontrés dans sa vie. Tous les meilleurs guerriers de Byzance réunis ne pouvaient l’égaler. L’étranger pouvait briser Lance en deux avec la puissance de son petit doigt.
« Qu… qui êtes-vous ? ! »
Cloudhawk regarda le jeune homme, qui était prostré sur le sol devant lui, et sourit. « C’est important ? A partir de maintenant, je suis toi. Et toi… »
Lance sursauta et tenta de reculer. « Non, non ! S’il vous plaît, ne me tuez pas ! »
Cloudhawk ne bougea pas. Une main invisible saisit le jeune homme par la gorge et le souleva du sol. Lance souilla son pantalon et jeta de l’urine dans la salle de bains pendant qu’il se débattait. En vain.
Un chasseur de démons novice comme lui n’était rien pour Cloudhawk, comme une fourmi devant un dragon. Ce jeune homme pitoyable n’avait même pas la possibilité de se défendre. Lorsque Lance cessa de se débattre, il retira son manteau et l’enfila. D’un seul coup, il n’y avait plus de différence entre eux.
Et le jeune maître lui-même ? Comme l’avait dit Bélial, il n’y avait aucune raison de le garder dans les parages. Même si c’était une fourmi, Lance était un ennemi. Il n’y avait aucune raison de le laisser continuer à errer dans le monde et à essayer de lui mordre les orteils.
Cloudhawk était arrivé là où il était en grimpant sur les cadavres de nombreuses personnes. Certains auraient pu le qualifier de démon assoiffé de sang. Il n’y réfléchit pas à deux fois lorsqu’une langue de feu vert jaillit au bout d’un doigt. « Donne-moi une raison de ne pas te tuer. »
« Ne me tuez pas ! Ne me tuez pas ! Je ne veux pas mourir ! Je ferai tout ce que vous me demandez, n’importe quoi ! Je vous en supplie. Je vous en supplie. Je ne veux pas mourir ! »
« Mieux vaut être mort que de devenir un chasseur de démons comme ça. » Cloudhawk secoua la tête avec dégoût. Stormford était dans un état lamentable. Cet idiot n’avait pas la moitié du courage de l’un des plus jeunes charognards de Skycloud. Malgré tout, Cloudhawk laissa tomber son doigt. « Tuer un rejeton comme toi serait honteux. »
Cloudhawk libéra ses pouvoirs spatiaux. Sans forme, il s’enroula autour de Lance et l’entraîna dans un autre monde.
Il avait changé d’avis non pas par compassion soudaine, mais parce qu’il ne voyait pas en Lance une menace. Il n’était pas sûr que cet idiot mérite de mourir, mais il ne pouvait pas se permettre de le laisser se mettre en travers de son chemin. La plupart des gens le tueraient et en auraient fini avec lui…
Bien sûr, Cloudhawk avait d’autres options. Au lieu de cela, il l’envoya dans une colonie pénitentiaire sur un autre monde. Qui sait ? Peut-être que le gamin serait utile un jour.
Une fois qu’il eut revêtu les vêtements du jeune maître, il retourna dans la salle. Là, une douzaine de femmes l’attendaient. Il fut immédiatement enveloppé d’une peau douce et d’odeurs parfumées. Il était entré dans la vie de ce jeune homme, alors autant jouer le rôle pour l’instant et profiter de la décadence que Lance ne connaîtrait plus jamais.