Les Chroniques d’un Pilleur de Tombes | Grave Robbers' Chronicles | 盗墓笔记
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Chapitre 27 – Au sommet
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Lorsque la fusée passa près de cette zone, les visages bougèrent pour éviter la boule de lumière brûlante. De là où nous étions, tous ressemblaient à des scarabées à visage humain.

Ce devait être les vrais corps des Dragons Mortels dont Maître Liang venait de parler. Même si les anciens les conservaient dans des masques spéciaux, ces créatures avaient réussi à se multiplier, et ce considérablement. Si j’étais sceptique au début, honnêtement, je ne m’attendais pas à me trouver si vite face à un groupe aussi important.

Les visages étaient attachés aux rainures de l’arbre de bronze et lorsque la lumière de la torche les illuminait, nous pouvions voir qu’ils avaient tous des expressions différentes. Certains semblaient souffrir, d’autres avaient l’air déprimés, d’autres encore étaient sinistres ou avaient des sourires sournois. Je n’avais encore jamais vu un spectacle aussi étrange, mais cela suffisait à me faire dresser les cheveux sur la tête.

Maître Liang avait parlé de ces masques avec excitation, mais lorsqu’il les vit ainsi, il déchanta aussitôt et prit peur :

― Les… les gars, dit-il d’une voix tremblante, ceux-là sont vivants. Tous ces masques ont des Dragons Mortels attachés à eux. Que faire ? Comment pouvons-nous les contourner ?

― Ne panique pas, répondit Lao Yang, Regarde comment ils réagissent à la fusée. Ces créatures doivent craindre la lumière et la chaleur, aussi allumons la torche et grimpons lentement. Ils n’oseront pas nous attaquer.

― N’en sois pas si sûr, lui dis-je. La fusée est brûlante et très lumineuse, ce qui explique qu’ils en aient peur. Mais il n’en va pas de même pour les torches. Tu te souviens des singes que nous avons vus tout à l’heure ? Quand on a tiré la fusée, ils se sont tous enfuis, mais quand on a tenté de les effrayer avec la torche, ils n’ont que légèrement reculé. Je parierais que si nous grimpons avec la torche, non seulement ça ne marchera pas, mais on se retrouvera encerclés. Et dans ce cas, il nous sera difficile de leur échapper.

― Alors que suggères-tu ? Demanda Lao Yang, Tu as des idées ?

― Je n’ai pas de plan à proprement parler, mais j’ai un début d’idée. Je ne sais pas si ça va marcher.

― Je sais que tu as beaucoup de bonnes idées, dit Lao Yang, impatient. Dis-moi vite ce que tu as trouvé.

Je désignai la paroi rocheuse à quelques dizaines de mètres de là :

― C’est trop dangereux de monter tout droit comme ça. Si c’est vraiment ce qu’a dit Maître Liang, il doit y avoir un moyen pour ces masques vivants de grimper sur nos visages. Si nous tentons de passer, il y aura certainement des sacrifices. Nous ferions mieux de les contourner. Y a-t-il un moyen de se balancer jusqu’à la paroi rocheuse opposée ? Il y a tellement de crevasses là-bas que ça ne devrait pas être difficile de grimper. De plus, nous pourrons nous reposer un peu.

Lao Yang regarda l’endroit que j’indiquais et cria :

― Si… si loin ? Tu veux te balancer jusque-là ?

Je hochai la tête :

― C’est la seule idée qui me vienne à l’esprit pour le moment. N’avons-nous pas encore la corde ? Sors-la et vois si elle est assez longue. Si cette astuce ne fonctionne pas, je pense que notre seule solution sera de redescendre et de revenir une autre fois avec un lance-flammes.

Lao Yang détacha de sa taille la corde, une des pièces d’équipement que nous avions prises sur le cadavre de l’oncle Tai. Elle portait le label UIAA, ce qui en faisait la meilleure corde d’escalade au monde. Même les forces spéciales l’utilisaient. Apparemment, l’oncle Tai et les autres avaient dépensé beaucoup d’argent pour s’équiper.

Bien avant de nous rendre au Palais du Roi de Lu aux Sept Étoiles, j’avais aidé Oncle San à acheter des équipements pour ses expéditions. Ayant dû vérifier de nombreuses informations, je savais que ce type de corde, si son diamètre était supérieur à dix millimètres, pouvait résister à une force d’impact de près de trois tonnes (c’est-à-dire si la personne attachée à la corde tombait inopinément). Cela devrait être plus que suffisant pour supporter le poids de trois personnes…

Qu’elle soit assez solide ne suffisait pas, elle devait être assez longue. Lao Yang l’accrocha à l’arbre et ne put s’empêcher de pousser un juron après avoir estimé grossièrement la distance qu’elle allait couvrir. La longueur totale de la corde n’était que d’une douzaine de mètres. Ce n’était certainement pas suffisant pour nous permettre d’atteindre la paroi en face de nous.

― Qu’allons-nous faire ? Me demanda-t-il. Même si on attachait bout à bout toutes nos ceintures, ça ne suffirait pas.

Je serrai la corde et vis qu’il s’agissait d’une corde à double brin de seize millimètres. J’avais enfin une idée de ce qu’il fallait faire :

 ― C’est bon, divisons cette corde en deux brins et attachons-les ensemble. Cela devrait être bon.

― Tu en es sûr, jeune Wu ? Rendre la corde si fine ne va pas la fragiliser ? Demanda Maître Liang, Regarde, c’est déjà plus fin que des nouilles de riz ! Tu ne devrais pas faire n’importe quoi.

― J’ai lu ça dans des magazines d’alpinisme étrangers. Je doute qu’ils nous trompent.

Je pris la couche extérieure en maille simple, sortis une corde en nylon très fine et déglutis : elle était bien trop fine. Mon bon sens me criait que jamais elle ne pourrait supporter notre poids, mais d’après les publications, ce type de corde en fibre de nylon renforcée de huit millimètres de diamètre pouvait être utilisé comme corde auxiliaire pour l’alpinisme. Tant qu’une lourde chute ne venait pas exercer une rude secousse, elle ne casserait pas si facilement. Utiliser ce type de corde présentait bien sûr un certain danger, c’est pourquoi on en utilisait généralement deux simultanément. Mais comme nous n’en avions qu’une, nous allions devoir nous en remettre à la bénédiction de Dieu.

Ou croire en la haute technologie, pensai-je. Nous n’allons tout de même pas jouer d’autant de malchance.

Je tendis la corde ainsi modifiée à Lao Yang qui sortit sa gourde de son sac à dos et fit autour un nœud marin. Puis, se servant d’elle comme d’un poids, il la lança vers la paroi rocheuse face à nous.  Après plusieurs tentatives infructueuses, il réussit enfin à l’enrouler autour d’une stalagmite et tira sur la corde jusqu’à ce qu’elle soit tendue et fixée fermement.

― Très bien, dit Lao Yang, enfin c’est fait, putain. Vieux Wu, je ne dirai rien concernant la corde, mais les rochers là-bas sont-ils assez solides ?

― Aucune idée.

Ce disant, je ne pus m’empêcher de penser à ce qui se passerait si les rochers n’étaient pas suffisamment résistants. Je serais probablement rebalancé vers l’arbre de bronze. Avec un peu de chance, je m’écraserais contre son tronc et ne finirais qu’à moitié mort, sinon, je m’empalerais sur ses branches et serais transformé en passoire.

Afin qu’une fois passés de l’autre côté, nous puissions détacher et récupérer la corde, Lao Yang l’attacha à une branche à l’aide d’un nœud spécial, si complexe qu’il me laissa stupéfait. Quand je lui demandai où il avait appris cette technique, il me répondit : en prison.

Tout étant prêt, je tirai une dernière fois sur la corde pour vérifier que les deux côtés tenaient bien, puis prévins les deux autres que nous pouvions y aller. Aucun d’eux ne bougea. À voir leurs regards, ils auraient préféré mourir plutôt que de passer en premier. Ce n’était pas surprenant. Il fallait beaucoup de courage pour ramper sur une corde aussi fine. Je réitérai à deux reprises ma question, mais ils secouèrent la tête. N’ayant pas d’autre choix, je pris sur moi et me préparai à passer le premier.

Avant de partir, cependant, je remis mon arme à Lao Yang et mon sac à dos à Maître Liang afin de réduire mon poids autant que possible, ces objets pouvant être attachés à l’autre extrémité de la corde et remontés lorsque Lao Yang déferait le nœud de l’autre côté. Celui-ci n’étant pas tranquille au sujet des grottes, il me tendit de force son pistolet. De cette façon, si, une fois là-bas, je devais faire face à une situation inattendue, je pourrais au moins me défendre.

Tel un martyr sur le point de mourir, je poussai un grand soupir, puis leur tapais sur l’épaule et grimpai sur la corde.

Mes pieds n’avaient pas plutôt quitté la branche que je sentis mes nerfs presque aussi tendus que la corde à laquelle je m’accrochais. Je fermai les yeux et serrai les dents, m’attendant à entendre le claquement de la corde qui se rompt, mais à mon immense soulagement, elle tint bon. Elle émit bien un « craquement » très désagréable, mais c’était uniquement dû au fait que les nœuds des deux côtés s’étaient resserrés.

Je me persuadai de ne pas regarder en bas, mais mes yeux le firent machinalement. Mon Dieu ! Je gémis, détournai aussitôt la tête, fermai les yeux et me mis à chanter Amitabha.

― Hé, vieux Wu, me cria Lao Yang, pourquoi traînes-tu ? Dépêche-toi un peu ! C’est encore plus dangereux si tu restes là.

Maudissant ses ancêtres, j’inspirai à fond, mis mes mains et mes pieds en branle et rampai vers le côté opposé. Cette sorte de corde avait une certaine élasticité, si bien qu’elle tremblait violemment à chacun de mes mouvements. Non seulement le trajet était très éprouvant pour les nerfs, mais la corde était vraiment trop fine. J’avais du mal à la tenir dans mes mains et, au bout d’un moment, j’eus l’impression de perdre mes forces. À mesure que je poursuivais ma progression, mon esprit se vida au point que je ne me rendis même pas compte que j’avais atteint la terre ferme. Je desserrai mes jambes enroulées autour de la corde et alors que je posai le pied au sol, celles-ci se ramollirent et fléchirent. Je m’accrochai aussitôt à la stalagmite et m’y cramponnai de toutes mes forces tout en reprenant mon souffle.

Comme j’avais toujours la torche avec moi, je l’allumai et l’enfonçai dans une crevasse sur le côté avant de me tourner vers Lao Yang et Maître Liang. Ce dernier, tout tremblant, était sur le point de grimper sur la corde, lorsque Lao Yang l’attrapa en lui disant d’attendre. Il se retourna ensuite vers moi et me cria de me faire d’abord une idée de la situation. Si les rochers n’étaient pas adaptés à l’escalade ou s’il y avait d’autres dangers, nous nous épargnerions alors l’effort d’avoir à faire l’aller-retour.

Je regardais plusieurs des grottes autour de moi. Toutes étaient à peine aussi hautes qu’une personne et semblaient avoir été créées par l’homme. Cependant, après des milliers d’années d’infiltration d’eau de pluie, de nombreuses stalactites s’y étaient formées et l’intérieur était très humide. Le fait que l’on ait creusé ces grottes laissait à penser qu’elles avaient probablement joué un rôle dans le projet de fonte de cet immense arbre de bronze.

Je levai les yeux et vis que ces cavernes n’étaient séparées les unes des autres que d’un mètre environ. S’il n’était pas très pratique d’y grimper, ce ne serait sans doute pas trop difficile. Je ne vis rien à l’intérieur et il ne semblait pas y avoir de danger. Ce que j’y avais aperçu depuis l’arbre tout à l’heure était sans doute une illusion causée par les jeux de lumière et d’ombres. Dans un endroit aussi sombre, rien d’étonnant à ce que mes nerfs soient un peu trop sensibles.

Sur ces pensées réconfortantes, je m’assurai une nouvelle fois que tout était sûr et levai la main pour donner le feu vert à Lao Yang.

Celui-ci tapota Maître Liang et lui dit de passer le premier. Le vieil homme se frotta le visage, grimpa sur la corde et se mit à avancer vers moi.

Le regarder ramper ainsi était éprouvant pour les nerfs. Je ne m’attarderai pas sur son parcours mais dix minutes plus tard, je détachai l’homme affaibli de la corde et l’allongeai près de moi.

Vint enfin le tour de Lao Yang. Il prit une profonde inspiration, attacha la lampe de poche à son poignet, vérifia une nouvelle fois le nœud, puis grimpa prudemment sur la corde. Il se déplaçait très vite et était presque à mi-parcours lorsque soudain, un bruit étrange se fit entendre provenant de la stalagmite à côté de moi, celle à laquelle était attachée la corde. Nous nous figeâmes tous les trois en même temps et Lao Yang me jeta un regard terrifié. Alors que je me retournais pour jeter un coup d’œil, je sentis mon cœur battre la chamade : une fissure venait d’apparaître sur la stalagmite !

Quelle chance pourrie !

― Plus vite ! criai-je à Lao Yang. Ça ne tiendra plus longtemps !

J’eus beau réitérer à plusieurs reprises mon avertissement, il ne bougea pas. Au lieu de cela, il me fixa d’un regard vide, puis repartit en direction de l’arbre tout en me faisant comprendre d’un signe de la main que je ferais mieux de l’imiter.

Que se passe-t-il ? me demandais-je lorsqu’un mauvais pressentiment me prit. Pointant désespérément le doigt au-dessus de nos têtes, Lao Yang poussa un cri étouffé :

― Barrez-vous !

Perplexes, Maître Liang et moi levâmes les yeux et ce que nous vîmes nous laissa stupéfaits. La paroi rocheuse, qui jusque-là était déserte, était désormais entièrement recouverte de ces étranges masques humains. Avec un bruit de froissement, ils avançaient vers nous tels une marée et se pressaient autour de nous. Au premier abord, on aurait dit que d’innombrables personnes, accrochées à la paroi, nous regardaient de haut.

J’avais vraiment envie de me gifler. Que j’étais donc stupide ! S’il y avait des Dragons Mortels sur l’arbre, pourquoi ne m’était-il pas venu à l’idée qu’il pouvait y en avoir aussi sur la paroi rocheuse ? Nous étions fichus. Mon destin était-il de me transformer en quelque chose de semblable à ces singes et de mourir là ? J’aurais mieux fait de sauter, ç’aurait été plus plaisant.

Nous voyant plantés là, hébétés, Lao Yang nous cria :

― Ne restez pas là ! Dépêchez-vous de revenir ! Nous allons couper la corde !

Réagissant enfin, je courus les quelques mètres qui me séparaient de la stalagmite et sautai sur la corde. La force de l’impact tira celle-ci vers le bas et la stalagmite émit une série de craquements inquiétants. Mais avant même que j’aie eu le temps de m’agripper fermement, Maître Liang sauta à son tour. La corde s’affaissa encore de dix centimètres, manifestement tendue à l’extrême. J’entendis un bruit inquiétant suivi d’un claquement sec et la corde la plus solide du monde se brisa en deux.

Il faut croire que cette corde de huit millimètres de diamètre ne pouvait vraiment pas supporter le poids de trois personnes. À la suite de ce claquement, le nœud attaché à l’arbre de bronze se desserra également et nous nous balançâmes dans les airs tels un grand pendule pour finalement venir heurter la falaise. L’impact fut si intense que nous faillîmes cracher du sang.

Lao Yang, qui était plus bas que nous car plus proche de l’arbre, heurta de plein fouet la paroi rocheuse. Ne pouvant plus serrer la corde, il glissa, mais parvint à se raccrocher au rebord d’une crevasse et à stopper sa chute. Maître Liang et moi n’étions pas beaucoup mieux lotis. Du sang coulait sur mon visage à cause d’une blessure que je m’étais faite en m’égratignant la tête sur un rocher et Maître Liang, qui n’avait plus la force de rester suspendu à la verticale, glissa jusqu’au bout de la corde. Heureusement pour lui, Lao Yang était en dessous, ce qui l’empêcha de chuter.

La stalagmite au-dessus de nous continuait à émettre des craquements. Conscient qu’elle pouvait se briser à tout moment, je tendis aussitôt la main et m’accrochai à une stalactite voisine. Après l’avoir escaladée, je tirai Maître Liang. Bien qu’absolument terrifié, il leva la tête pour me remercier, mais au moment où il s’apprêtait à parler, un masque bondit d’en haut et s’accrocha à son visage.

Je vis alors sortir de sous le masque des sortes de griffes qui ressemblaient beaucoup à des pattes de crabe. Maître Liang poussa un cri de douleur et porta les mains à son visage, mais il était trop tard, le masque était déjà en place. Il tenta désespérément de l’arracher, mais celui-ci semblait collé à son visage. Il tira dessus plusieurs fois mais à chaque fois, le masque reprenait sa place. Je tentai de m’approcher pour lui venir en aide, mais comme il courait comme un fou dans tous les sens, il ne m’en laissa pas le temps et me fit tomber de la falaise. Je parvins à m’accrocher d’une main à la corde, glissai jusqu’en bas et m’arrêtai de justesse à côté de Lao Yang.

Je regardai l’abîme sous mes pieds et rageai intérieurement. Maître Liang ayant besoin d’aide, je me préparais à remonter lorsque, levant la tête, je vis une ombre noire semblable à une grosse main tomber du ciel et s’accrocher à mon visage. Ma vision s’obscurcit et quoique ne voyant plus rien, je sentais quelque chose de poilu tenter de s’introduire dans ma bouche.

Paniqué, j’agrippai la crevasse rocheuse d’une main et de l’autre, tentai d’arracher le masque tout en serrant les dents afin d’empêcher cette chose de pénétrer dans ma bouche. Lorsqu’enfin je parvins à arracher une partie du masque, l’ensemble se détacha de moi. Je le jetai aussitôt, mais il atterrit sur les fesses de Lao Yang qui, poussant un juron, le mit en pièces avec la crosse de son arme.

Je soupirai de soulagement mais en me retournant, je vis quatre ou cinq de ces Dragons Mortels sauter droit sur mon visage. Tremblant de peur, je levai mon pistolet et tirai quatre coups de feu. Cela ne servit pas à grand-chose car plus d’une douzaine de ces créatures se précipitaient vers nous. Alors que Lao Yang et moi reculions plus bas sur la falaise, nous entendîmes un cri lugubre. Levant les yeux, je vis que Maître Liang avait de gros problèmes. Son corps entier était couvert de Dragons Mortels. Il criait et se débattait dans l’espoir de les faire tomber, mais dès qu’il en retirait un, d’autres surgissaient et prenaient sa place.

Tout en descendant, je continuai à tirer jusqu’à ce que toutes mes balles soient épuisées, mais la situation ne s’améliora pas pour autant. Un raz-de-marée de Dragons Mortels se rua vers nous de part et d’autre. Je scrutai les environs et vis que les parois rocheuses, à proximité, étaient couvertes de ces créatures. Elles étaient si nombreuses qu’elles rampaient les unes sur les autres et remplissaient l’air de sons étranges. C’était suffisant pour me donner un gros mal de crâne. Profitant de ce que nous étions momentanément distraits, quelques-unes d’entre elles sautèrent en direction de nos visages. Si nous ne faisions pas attention, c’en serait fait de nous.

Nous continuâmes à reculer le long de la falaise sans toutefois parvenir à distancer les créatures qui eurent tôt fait de nous encercler.  J’étais au bord du désespoir lorsque Lao Yang, de son pistolet artisanal, envoya voler les Dragons Mortels au-dessus de nos têtes avec un grand fracas. Les masques les plus proches de nous furent aussitôt réduits en miettes et les débris retombèrent sur moi tels des flocons de neige.

Mais en moins d’une seconde, une nouvelle vague de créatures envahit l’endroit que les tirs avaient dégagé. Voyant que c’était peine perdue, Lao Yang enroula ses vêtements autour de sa tête et me cria :

― Vieux Wu ! Je surveille tes arrières ! Vite, couvre ta bouche et va chercher la torche !

Je levai les yeux et vis que celle-ci dépassait toujours de la crevasse où je l’avais placée plus tôt. Le fait qu’il n’y ait pas de Dragons Mortels à proximité montrait clairement que ces choses avaient une peur bleue du feu. Non seulement j’étais bien trop loin de la torche, mais entre elle et moi, il y avait une foule de Dragons Mortels. Impossible d’y monter.

― Tu devrais y aller, criai-je à Lao Yang, je te couvre !

― Nous n’avons plus le choix ! Vas-y ! dit Lao Yang avant de briser l’un de ces masques d’un coup de crosse. Quelle putain de malchance !

Je regardai ces Dragons et je sentais mon cœur trembler. Bien qu’ils n’aient guère de puissance d’attaque, ils étaient trop nombreux et de plus protégés par des masques durs, aussi était-il difficile de les neutraliser complètement. Et ce n’étaient là que ceux qui avaient survécu après des milliers d’années de reproduction. Qui sait combien de ces choses les anciens, pour protéger cet arbre de bronze, avaient bien pu fabriquer. Impossible de le savoir.

Lao Yang envoya voler un autre Dragon Mortel et se préparait à me rejoindre, lorsque, levant les yeux vers moi, il se figea :

― Vieux Wu, qu’est-ce qui t’arrive ?

Je le vis alors immobile tandis que plusieurs masques atterrissaient sur ses épaules et se glissaient dans les vêtements qui couvraient son visage :

― Comment ça, qu’est-ce qui m’arrive ? Fais attention ! Dis-je, en criant.

Réagissant enfin, Lao Yang s’empressa de repousser les Dragons Mortels de ses épaules et me dit :

― Vieux Wu, tu n’as rien remarqué ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

― De quoi ? criai-je, impatienté, en le tirant vers moi. Si tu as le temps de débiter de telles inepties, dépêche-toi de le faire !

― Regarde-toi ! Tu n’as pas un seul masque sur toi ! Pourquoi est-ce qu’ils ne te grimpent pas dessus ? ! Ça n’a aucun sens !

Je m’examinai, puis regardai Maître Liang et Lao Yang. Ils étaient tous deux couverts de Dragons Mortels et ne pouvaient pas s’en débarrasser quoi qu’ils fassent. Mais de mon côté, je n’en avais pas un seul sur moi.

À l’idée qu’à l’exception du premier qui avait sauté sur mon visage, pas un seul Dragon Mortel n’avait grimpé sur moi, mon cœur se mit à battre la chamade.  La situation était si chaotique que je ne m’en étais même pas aperçu.  Je pensais simplement avoir de la chance, mais à présent, il me semblait que quelque chose clochait. Je jetai un rapide coup d’œil autour de moi et constatai que même si les Dragons Mortels rampaient également vers moi, dès qu’ils approchaient, ils changeaient brusquement de direction. On aurait dit que j’étais une torche dont ils avaient peur.

Qu’est-ce qui se passe ? me demandai-je en levant timidement la main pour tenter d’attraper le masque le plus proche. Mais avant même que je puisse l’approcher, tous les Dragons Mortels du secteur avaient battu en retraite.

Nous nous regardâmes, Lao Yang et moi, totalement perplexes. Au bout d’une seconde, l’air excité, il s’écria :

― Putain, c’est super, ton truc !  Aurais-tu accidentellement mis quelque chose sur ta main ? Regarde vite !

Je jetai un coup d’œil à mes mains, mais ne vis rien de spécial, à l’exception de la saleté et du sang provenant de la blessure que je m’étais faite à la tête.

C’est étrange. Pourquoi ont-ils peur de moi ? Leur parasitisme est-il sélectif ?

En voyant ces Dragons Mortels battre en retraite, je me souvins brusquement de la fois où le sang de Poker-face avait fait fuir les mangeurs de cadavres et une idée surgit dans ma tête.

Une minute, pourrait-il s’agir… du sang ?

Mais comment est-ce possible ? Comment ces vicieuses créatures pourraient-elles craindre le sang d’une personne ordinaire comme moi ?

Je regardai mes mains, incrédule, l’esprit si embrouillé que je ne pouvais même plus penser clairement.

Lao Yang, quant à lui, ne pouvait plus résister à l’assaut de ces Dragons. Je tendis fébrilement la main vers lui et ce qui se passa alors me laissa stupéfait : les Dragons qui s’agrippaient à lui battirent en retraite, tels des cafards face à un insecticide. C’était exactement ce qui s’était passé lorsque les mangeurs de cadavres avaient vu le sang de Poker-Face.

― Pas possible !

Je restai bouche bée à l’idée de l’incroyable respect que ces créatures me manifestaient.

Lao Yang, qui ne comprenait toujours pas ce qui se passait, me cria de me dépêcher d’aller chercher la torche. Je lui tapai sur l’épaule et lui dis :

― Attends. On dirait qu’il y a quelque chose de vraiment pas normal.

Sur ce, je levai la main et gravis les quelques marches qui me séparaient de Maître Liang, déjà pris de convulsions. J’avais à peine fait quelques pas que les Dragons se retirèrent tels la marée et les bruissements, jusque-là synchronisés, se transformèrent en une symphonie chaotique de couinements terrifiés.

Lao Yang me fixait, complètement abasourdi : on aurait dit qu’il contemplait une sorte de monstre. L’ignorant, je grimpai et posai ma main sur le visage de Maître Liang. Alors que le masque se soulevait, je le saisis et tirai de toutes mes forces. Au moment où je l’arrachai, quelque chose qui s’apparentait beaucoup à une « langue » couverte de mucus sortit de la gorge de Maître Liang. L’homme âgé était déjà dans un état semi-conscient, mais le corps étranger n’était pas plutôt sorti de sa bouche qu’il se mit à vomir.

Le Dragon Mortel se débattait si violemment que je faillis le lâcher. Ne voulant pas garder dans ma main cette créature écœurante, je l’écrasai de toutes mes forces contre un rocher, si bien que ma main se retrouva couverte de fluides corporels verts.

Les Dragons Mortels reculèrent aussitôt mais n’allèrent pas bien loin. Ils formèrent autour de nous un immense cercle qui se rétrécissait progressivement. Lao Yang saisit la torche, la balaya d’avant en arrière et les repoussa un peu plus loin. Maître Liang toussa à deux reprises et parut reprendre conscience. Lao Yang alla récupérer sa gourde et le morceau de corde resté enroulé autour. Malheureusement, le reste de notre équipement et notre nourriture étaient restés sur l’arbre et je ne savais pas si nous pourrions les récupérer.

Je versai de l’eau dans mes mains et humidifiai les lèvres de Maître Liang. Lorsque, revenu à lui, il me vit, l’homme éclata en sanglots. Je fus si surpris de cette réaction que je le repoussai instinctivement sur le côté. Les nerfs de Lao Yang avaient été mis à si rude épreuve et durant si longtemps qu’il était quelque peu névrosé. Je lui fis comprendre que tant que nous aurions la torche, les Dragons Mortels ne s’approcheraient pas. Il était impératif qu’il prenne le temps de se détendre, sans quoi il risquait fort de devenir fou. Réalisant que les créatures, en effet, gardaient leurs distances, il poussa un soupir de soulagement et inséra la torche dans une crevasse à proximité :

― Vieux Wu, qu’est-ce que c’était ? Quand as-tu appris un tour aussi génial ? Si tu l’avais utilisé plus tôt, nous n’aurions probablement pas eu l’air si pathétiques.

Je regardai mes mains, puis secouai la tête :

― Putain, je ne sais pas. J’ai cru que je rêvais.

Lao Yang regarda le sang sur mes mains, le toucha et renifla, sans parvenir à croire que j’étais doté d’un pouvoir aussi impressionnant.

― Quand tu es venu ici tout à l’heure, tu as touché quelque chose de spécial ? Réfléchis bien… peut-être es-tu tombé sur la Némésis de ces masques maudits sans même le savoir.

Je réfléchis un instant, mais tout ce que j’avais touché, ils l’avaient touché eux aussi, à l’exception de mon sang, mais cela n’avait aucun sens. Si mon sang était si puissant, je ne me serais pas retrouvé aussi démuni au Palais du Roi de Lu aux Sept Etoiles. Je n’aurais jamais pu faire fi d’une telle capacité… Était-il possible que la petite quantité de sang de Poker-face dont je m’étais enduit à l’époque fasse encore effet ? Je secouai aussitôt la tête : Non, c’était impossible.

Maître Liang, qui avait entendu notre conversation, nous demanda ce qui se passait. Ses yeux étant couverts par le masque, il n’avait rien vu du tout. Lao Yang, me taquinant délibérément, répondit :

― Tu ne le sais pas, mais à l’instant même, notre vieux Wu vient de réaliser un exploit incroyable. Voici ce qui s’est passé…

Après avoir entendu toute l’histoire, Maître Liang fit claquer sa langue et dit :

― Jeune Wu, as-tu déjà mangé quelque chose de noir et de cette taille, comme une écaille ?



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