Chapitre 1023 — Réseau

La fourberie et la ruse des diables étaient des choses que Leylin connaissait parfaitement. Si un diable se retrouvait libéré de toute contrainte, quel chaos engendrerait-il à Baator ? Rien que d’y penser, un frisson lui parcourut l’échine. Les diables ne manquaient jamais d’ambition.

Il envisagea alors une autre possibilité :
« Bien sûr… cela pourrait aussi être dû au fait que les huit Archidiables sont trop intrigants et puissants. Ils se sont partagé l’autorité qui aurait dû revenir au Neuvième Enfer, maintenant ainsi un fragile équilibre. »

En réfléchissant à ces questions, Leylin relâcha inconsciemment son aura. Sa maîtrise de l’autorité alarma aussitôt une présence terrifiante.

« Une aura si ancienne et si noble… une puissance que seuls les Archidiables possèdent. Qui est-ce ? »

Un rugissement draconique d’une intensité inouïe retentit. Une masse gigantesque sortit d’une caverne adossée à un immense crâne servant de socle. Leylin vit apparaître un dragon aux cinq têtes, chacune d’une couleur différente, chacune respirant la terreur. Ses griffes colossales provoquaient des séismes miniatures à chaque pas. À côté de lui, les dragons légendaires que Leylin avait croisés autrefois paraissaient de simples nouveau-nés.

« Le gardien de cette région… le dragon chromatique Tiamat. »

Il était évident que cette entité patrouillait régulièrement les environs. Les diables alentours, loin de paniquer, poursuivaient leurs activités, comme habitués à sa présence.

Leylin n’avait laissé s’échapper son aura qu’un bref instant, avant de la dissimuler soigneusement. Les cinq têtes de Tiamat flairèrent l’air à tour de rôle, mais sans rien détecter, elles se replièrent dans leur antre. Le calme revint aussitôt dans les rues. La plupart des passants reprirent leur chemin, mais Leylin demeura immobile, le regard rivé sur la caverne, pensif.

« Gardienne de la Citadelle de Bronze… Tiamat, le Dragon Chromatique. Une entité comparable à un dieu. »

La puce IA, ayant profité de ce bref laps de temps pour scanner l’entité, projeta des données détaillées devant Leylin.

[Dragon Chromatique Tiamat (Titanique)]

Force : 40

Agilité : 10

Vitalité : 35

Esprit : 28

Capacités :

Souffle draconique épique : chacune des cinq têtes peut lancer un souffle différent (givre, acide, corrosion, foudre et feu).

Aura féroce : la simple présence de Tiamat perturbe les ennemis. Le pouvoir s’active automatiquement lorsqu’elle charge, fuit ou attaque.

Sorts divins : prêtresse maléfique de rang 20, elle possède le pouvoir d’un domaine et l’accès aux sorts correspondants.

Magie arcanique : sorcier de rang 20, elle peut lancer jusqu’à trois fois par jour : Commandement des plantes, Contrôle du temps, Obscurité, Domination, Nuage de brouillard, Rafale, Mirage arcanique, Croissance des plantes, Suggestion, Essaim, Voile, Ventriloquie.

Dons : Alchimie, Tromperie, Concentration, Diplomatie, Intimidation, Connaissance draconique, Sens de l’intention, Identification des sorts, Survie, Combat de lancement, Attaque aérienne, Dégâts accrus (Adepte), Incantation instantanée (couplée au pouvoir du domaine), Vol acrobatique.

Leylin contempla les données avec intérêt.
« Voici la véritable puissance d’un être ancien. Non seulement ses statistiques sont monstrueuses, mais elle possède une expérience, une longévité et des prouesses qui la placent à un niveau comparable à un demi-dieu. »

Il se rappela alors :
« Tiamat s’entoure aussi de cinq compagnons mâles, chacun issu d’une race draconique maléfique différente. Ensemble, ils peuvent affronter le Dieu des Kobolds ou même le Dieu des Requins… du moins dans leurs propres royaumes divins. »

Les souvenirs hérités de Belzébuth refirent surface. La Citadelle de Bronze, poste avancé de Baator, était constamment prise pour cible par les légions démoniaques. Ces dernières, folles et chaotiques, surclassaient les diables en nombre — vingt fois plus nombreuses. Leur sauvagerie avait infligé de lourdes pertes à la forteresse.

Mais les diables n’étaient pas des bêtes sauvages. Leur ordre et leurs complots rendaient toute percée impossible. Souvent même, ils lançaient des campagnes dans l’Abîme pour reprendre l’avantage.

Aucune victoire décisive n’avait encore émergé de ce conflit éternel entre chaos et ordre. Certains murmuraient qu’il durerait jusqu’à la fin des temps.

C’est dans ce contexte qu’Asmodée avait saisi l’occasion de s’emparer d’Avernus. En dirigeant ses huit généraux démoniaques, il avait pris le contrôle de la Citadelle de Bronze lors d’un siège sanglant, puis s’était arrogé le droit d’y stationner ses troupes. Aujourd’hui, il contrôlait la moitié de la citadelle.

Les rumeurs voulaient que Tiamat, autrefois maîtresse incontestée des lieux, ait été reléguée au rôle de simple symbole.

« La Citadelle de Bronze n’influence même pas un tiers d’Avernus… et Asmodée n’en contrôle que la moitié. Son titre de Suprême de Baator n’est qu’une mauvaise plaisanterie. » Leylin secoua la tête.

Un vacarme brutal coupa court à ses réflexions.
« Les démons ! Les démons attaquent ! »
« Ces chiens sauvages reviennent ! »

L’alarme stridente retentit à travers toute la forteresse. La conscience divine de Leylin détecta aussitôt une marée de puissance chaotique se précipitant vers la citadelle. Les démons avançaient à découvert, sans même chercher à se dissimuler.

« Préparez le banquet… »

Huit auras démoniaques surgirent dans le ciel, symboles de la plus haute autorité de la citadelle, juste en dessous des Archidiables eux-mêmes.

« Les Huit Sombres… Les chiens loyaux d’Asmodée. Ce siège… serait-ce un stratagème ? Une embuscade tendue aux démons ? »

Le regard de Leylin s’assombrit. Avec la vigilance proverbiale des diables, une attaque-surprise était impensable. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : les diables avaient tendu ce piège pour attirer les démons et les écraser.

Ce genre de stratagème avait déjà été utilisé à maintes reprises, et pourtant les démons fonçaient toujours tête baissée. Leur soif de sang annihilait toute prudence.

Mais cette fois, Leylin cessa de sourire. Sous les ordres des Huit Sombres, l’intégralité de la citadelle se mit en branle comme un seul organisme. C’était comme si un réseau invisible avait transmis l’ordre à chaque soldat.

Les nupperibos se rangeaient derrière les lémures, eux-mêmes encadrés par les spinagons. Les escouades étaient guidées par des barbazus, des excruciarques et d’autres diables intermédiaires, tandis que les rangs supérieurs — osyluths, diables barbelés, cornus, ou de glace — dirigeaient les formations. Et au sommet, les Huit Sombres, orchestrant le tout avec une efficacité implacable.

L’armée avançait comme une ruche, une fourmilière disciplinée, parfaitement synchronisée.

« C’est le pouvoir de l’autorité. » Leylin comprit aussitôt.

Chaque diable était lié à un rang, chaque rang à une source d’autorité, et tout remontait aux Huit Sombres. Ces damnés des fosses avaient reçu l’autorité d’Asmodée lui-même. Bien que ce pouvoir soit indirect, leur force combinée pouvait rivaliser avec n’importe quelle armée.

Ainsi, tout Archidiable contrôlait naturellement la vie et l’avancement de tous les diables de rang inférieur. Même lorsqu’ils se trouvaient sous la juridiction d’un autre Archidiable, les diables ressentaient la pression de cette même force originelle.

« Les règles de Baator accordent une certaine liberté aux damnés des fosses présents dans la Citadelle de Bronze, mais ils doivent quand même obéir aux ordres des Huit Sombres. Ils peuvent refuser… mais au prix de la torture, ou d’une rétrogradation imposée par l’Archidiable qu’ils servent. »

Leylin observa les diables autour de lui. Même ceux qui servaient d’autres seigneurs exécutaient docilement les ordres. Aucun ne protestait, comme si cela allait de soi.

« Voici l’autorité de la Force Originelle… un gouffre infranchissable entre chaque rang. »

À travers sa propre autorité, Leylin distingua un immense réseau. Des fils invisibles reliaient les Huit Sombres à une volonté colossale, tapie dans les profondeurs de Baator.

[Bip ! Réseau numérisé détecté. Obtention automatique de la plus haute autorité. Organisation en cours…]

La puce IA bourdonnait d’activité.

« Si les huit démons des abysses s’unissaient, ils pourraient menacer la Citadelle de Bronze. Même Tiamat ne pourrait les ignorer. Mais… »

Leylin savait qu’il pouvait, d’une simple pensée, s’ériger au-dessus des Huit Sombres et prendre le contrôle total du réseau. Après tout, son autorité provenait directement de l’Archidiable du Second Enfer. Contrairement aux Huit Sombres, son lien n’était pas indirect, mais direct.

Mais agir ainsi dévoilerait sa véritable identité aux autres seigneurs — une erreur irréparable.

Il choisit donc la prudence. Dès que la puce IA acheva son analyse, il donna son ordre :
« Puce IA, commence immédiatement la dissimulation. »

[Bip ! Mission établie. Processus de dissimulation lancé. Contrôle en arrière-plan activé.]