Sun Youdao prit alors la parole d’un air grave : « Lin Ming a remporté la première place du Tournoi des Factions, devenant ainsi le Champion des Sept Profondes Vallées et se hissant au rang des disciples directs de la secte !
— Champion des Sept Profondes Vallées ? Disciple direct ? répéta Yang Lin d’une voix étouffée, l’écho des mots de Sun Youdao résonnant encore et encore dans son esprit. Son étonnement était tel qu’il se mua en paralysie. Le prince savait parfaitement ce que cet évènement signifiait pour avoir passé le plus clair de son temps à rechercher tout ce qu’il pouvait à propos du Tournoi des Factions au cours des jours précédents. Il avait donc une idée assez précise du genre d’individus qu’étaient les disciples directs.
Les Sept Profondes Vallées utilisaient quatre catégories différentes pour leurs disciples. Ceux qui se trouvaient au bas de l’échelle portaient le titre générique de disciple, suivis par les disciples de cercle extérieur et les disciples de cercle intérieur et, au sommet de la pyramide, les disciples principaux.
Chaque faction ne comptait qu’une poignée de disciples principaux, et les meilleurs d’entre eux étaient tout simplement les disciples directs.
Avec ses sept factions, les Sept Profondes Vallées possédaient sept disciples directs ; disciples directs qui étaient tous destinés à figurer dans le top dix du Tournoi des Factions. Tous les disciples de la secte enviaient leur position, puisque les ressources qu’elle leur allouait étaient proportionnelles à leur statut. Ainsi, plus votre rang était élevé et plus vous receviez de ressources pour vous entraîner.
À moins d’un accident, chacun de ces disciples directs finirait par atteindre le Xiantian un jour ou l’autre.
Leur statut était encore supérieur à celui d’un Aîné de cercle extérieur !
Et pourtant, quel genre de statut possédait un Aîné des Sept Profondes Vallées ? Ouyang Dihua s’était retrouvé catapulté au rang d’Émissaire des Sept Véritables du jour au lendemain simplement parce qu’il bénéficiait du soutien de son oncle, lui-même Aîné au sein de la secte.
Le roi en personne se devait de maintenir une attitude respectueuse à l’égard d’un Émissaire des Sept Véritables, alors un Prince Héritier, n’en parlons pas… Ouyang Dihua n’avait même pas pris la peine de s’intéresser à Yang Lin.
Lin Ming possède désormais un statut équivalent à celui d’un Aîné…
Yang Lin déglutit fébrilement. Il s’attendait à ce que Lin Ming lui rapporte un présent de valeur, mais pas quelque chose d’aussi fantastique !
Champion du Tournoi des Factions !
Disciple direct des Sept Profondes Vallées !
Ces deux exploits figureraient à jamais dans l’histoire du Royaume du Grand Avenir. Avait-on jamais entendu parler d’un disciple des trente-six pays s’élevant au rang de disciple direct ? Avait-on jamais vu un disciple des trente-six pays remporter le titre de Champion des Sept Véritables ?
Ce n’était pas seulement Yang Lin, mais Qin Xiao, les grands généraux et tous les disciples de la maison martiale arboraient des airs ébahis. Seuls ces artistes martiaux pouvaient saisir le caractère exceptionnel de cette nouvelle.
Tôt ou tard, Lin Ming deviendrait un maître Xiantian !
Un Maître Xiantian !
De telles figures appartenaient aux mythes et légendes aux yeux de ces mortels.
Le silence recouvrit pendant un temps l’assemblée, entrecoupé seulement par le bruit des rubans claquant dans le vent glacial.
Yang Lin ouvrit plusieurs fois la bouche pour parler sans qu’aucun son n’en sorte. Il ne parvenait pas à calmer les vagues turbulentes d’émotions qui déferlaient dans son cœur. Si Lin Ming était bel et bien un disciple direct, un seul mot de sa part suffirait à l’asseoir sur le trône ; quand bien même il ne serait pas l’actuel Prince Héritier mais un obscur bâtard…
Le Trône…
Des larmes lui montèrent aux yeux en réalisant ce que ça signifiait. Combien d’années avait-il passées dévoré par la peur, l’anxiété et l’incertitude ? Combien d’années d’un appétit absent et d’un sommeil rompu ? Une fois la couronne emportée par un autre, sa mère, sa petite sœur et lui seraient tous condamnés !
Une mort inéluctable les attendrait alors.
Voyant l’état de trépidation dans lequel Yang Lin se trouvait, Qin Ziya lui dit en souriant : « Lin Ming est resté aux Sept Profondes Vallées. Il lui reste de nombreuses affaires à y régler, notamment la remise des récompenses et la participation à un programme d’entraînement conjoint avec d’autres sectes. Après quoi il lui faudra encore choisir une faction. Il ne rentrera donc pas tout de suite.
Qin Ziya fut presque interrompu par le rire de Sun Youdao : — Lin Ming est un trésor que les factions principales essaient toutes de se piquer ! En particulier la Faction Acacia et celle des Épéistes, j’ai entendu dire qu’ils se querellaient déjà énergiquement à son sujet ! »
Les plus grandes factions de la secte voulaient toutes faire de Lin Ming leur disciple direct ?
Yang Lin laissa échapper un long soupir. Il avait beau ne pas être surpris, l’entendre de la bouche de Sun Youdao semblait irréel.
Au même moment, derrière Yang Lin, les chroniqueurs du journal royal se mirent à l’œuvre. Débordant d’enthousiasme et se frottant les mains pour réveiller leurs doigts engourdis par le froid, ils entreprirent de coucher ces nouvelles sur le papier. ‟Un Champion des Sept Véritables au Royaume du Grand Avenir,” avec un titre pareil, tout le pays allait être en émoi !
Et ce fut bel et bien le cas…
Le lendemain, le nom de Lin Ming était sur toutes les lèvres dans la capitale, et le récit de ses exploits ne tarda pas à se propager à travers tout le royaume.
Au sein de la Maison Martiale des Sept Véritables, tous les disciples, anciens comme nouveaux, discutaient des derniers évènements avec une passion débordante. Ils tiraient tous une grande fierté d’appartenir à une école qui avait un jour compté Lin Ming au rang de ses disciples. Des décennies ou des siècles plus tard, ils continueraient de déclarer fièrement à leurs descendants que, dans leur jeunesse, ils avaient été les condisciples d’un maître Xiantian !
En particulier ces jeunes filles qui venaient de rejoindre la Maison Martiale et s’étaient aussitôt converties en linmaniaques. Lin Ming était leur plus grande idole, leur idéal masculin et le chevalier-servant de leurs rêves.
Loin de là dans la Ville du Mûrier Vert, la Famille Lin, alors accaparée par les préparatifs du Nouvel An, reçut à son tour la nouvelle.
Les vacances de fin d’année marquaient les plus grandes célébrations du Royaume du Grand Avenir. Le roi se devait d’offrir des sacrifices aux divinités et de recevoir tous les officiels des pays voisins. Les familles nobles se joignaient à la fête, sacrifiant elles aussi des animaux au cours de cérémonies interminables pour célébrer le passage à la nouvelle année.
En tant que l’une des familles les plus importantes de la Ville du Mûrier Vert, la Famille Lin assumait naturellement sa part dans ce grand évènement.
Alors que l’ambiance était déjà festive, une vague de folle excitation gagna toute la famille lorsqu’ils apprirent que Lin Ming avait remporté le titre de Champion des Sept Véritables et qu’il figurait désormais au rang des disciples directs de la secte. Cela signifiait tout simplement qu’un futur maître Xiantian était apparu dans leur famille, leur ouvrant la voie vers des siècles de prospérité.
Le chef de famille ne pouvait se retenir de glousser d’allégresse en y pensant. Chaque servant reçut une épaisse enveloppe rouge remplie d’argent et, comme pour remercier leur bienfaiteur, ils s’empressèrent tous de rapporter autour d’eux les exploits du jeune maître légendaire de la Famille Lin.
Jamais les célébrations du Nouvel An ne leur avaient coûté aussi cher. Il faut dire qu’ils dépensèrent quatre-vingt mille taels d’or – soit l’équivalent des revenus de deux années – dans un banquet sans précédent. Cent-soixante tables furent dressées et les festivités durèrent neuf jours complets. Tous les héros des environs furent invités, ainsi que tous les personnages importants.
Étonnement, à la fin de ces neuf jours de célébrations, le montant des cadeaux qu’ils avaient reçus avoisinait les cent cinquante mille taels d’or ! Plusieurs familles du royaume supérieures aux Lin, tant par leurs richesses que par leur prestige, avaient envoyé leurs descendants directs les représenter avec de nombreux présents.
Tous ces invités de marque furent cependant un peu déçus, car peu importe qui se présentait en manifestant le souhait de saluer les parents de Lin Ming en personne se voyait opposer un refus catégorique. Le couple avait visiblement quitté la ville sans laisser de traces…
L’affaire n’était pas d’importance, mais certaines personnes étaient particulièrement sensibles à ce genre de choses, et il n’en fallut pas davantage pour que le bruit coure que ces grandes festivités dissimulaient en réalité une crise interne…
Yang Zhen, le Dixième Prince, avait appris la nouvelle du triomphe de Lin Ming le jour même du retour de Qin Ziya et de son groupe. Il avait passé deux jours entiers enfermé dans sa chambre, et lorsqu’il en sortit enfin, il semblait avoir vieilli d’une dizaine d’années.
La lutte pour le trône ne connaissait que deux issues, soit vous ressortiez en glorieux vainqueur, soit vous tombiez dans les abysses infernaux. Yang Zhen ne disposait plus d’aucune marge de manœuvre. S’il remportait la couronne, il ne pardonnerait pas à Yang Lin, et si Yang Lin la remportait, c’est lui qui ne serait pas pardonné.
S’en prendre à Lin Ming par l’intermédiaire de la Famille Zhu était sans aucun doute la plus mauvaise décision qu’il ait prise de toute sa vie. Mais ce qui est fait est fait, comme le veut l’adage, et le temps n’était désormais plus aux regrets. Vu la situation, il ne lui restait plus qu’un seul coup à jouer sur ce grand échiquier…
Cela ne lui permettrait pas nécessairement de raviver la flamme de ses espoirs chancelants. En revanche, ne pas le faire revenait à attendre patiemment de se faire trancher la tête.
…
Tard dans la nuit, Yang Zhen s’enveloppa dans une épaisse cape noire et, se dérobant aux yeux et à l’attention des curieux, pénétra dans le manoir de l’Émissaire des Sept Véritables.
Ouyang Dihua avait séjourné ici et, à sa mort, Ouyang Boyan s’y était installé à son tour ; probablement pour s’imprégner du dernier lieu fréquenté par son neveu dans l’espoir d’y trouver des indices.
Il avait enquêté un mois durant, passant la capitale au peigne fin sans trouver ne serait-ce que le début d’une piste. S’il ne quittait depuis que rarement la propriété, il n’était toujours pas reparti du Royaume du Grand Avenir.
Vu les circonstances du meurtre, l’assassin d’Ouyang Dihua possédait forcément une cultivation au Xiantian, autrement quoi il n’aurait jamais pu l’éliminer aux yeux et à la barbe de ses gardes du corps et repartir comme il était venu sans que personne ne remarque quoi que ce soit.
Ouyang Boyan était convaincu que ce tueur était venu pour lui, son neveu avait simplement eu la malchance de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Il restait donc au Royaume du Grand Avenir pour que ce tueur se présente à lui et qu’il puisse se venger.
Cependant, les jours et les semaines s’étaient succédés sans que rien ne se passe, jusqu’à ce qu’il reçoive à son tour la nouvelle du triomphe de Lin Ming.
…
« Yang Zhen salut Aîné Ouyang ! lâcha-t-il en se prosternant dans le plus grand respect. De manière générale, les artistes martiaux n’avaient que faire des règles et des coutumes des mortels et de leurs royaumes. Même face à Shi Zongtian, aucun d’eux ne poserait les deux genoux à terre. En agissant de la sorte, Yang Zhen cherchait tout simplement à prouver son entière dévotion.
— Yang Zhen ? Interrogea Ouyang Boyan en le dévisageant de la tête aux pieds, que viens-tu faire ici ?
— Eh bien, j’ai immédiatement eu des soupçons à la mort de votre neveu, mais ayant bien conscience que tout cela me dépassait, je n’en ai rien dit, et aujourd’hui je me demande si je ne devrais pas les formuler…
Un sourire malicieux se dessina aussitôt sur les lèvres d’Ouyang Boyan, et il déclara dans la foulée : — Tu suspectes Lin Ming, n’est-ce pas ?
Yang Zhen tressaillit, mais ce n’était après tout pas si surprenant.
— Un conflit a opposé Ouyang Dihua à Lin Ming quelques semaines avant sa mort, répondit-il calmement. »
Ouyang Boyan était déjà au courant de cette histoire. Qui plus est, une simple dispute ne suffisait pas à expliquer un meurtre. Sans compter que personne n’aurait pu envisager à l’époque que Lin Ming soit capable d’une chose pareille. Il n’en avait tout simplement pas les moyens !
Néanmoins, à la lumière de ses prouesses au Tournoi des Factions…
En postulant qu’il détenait une technique de dissimulation et qu’il avait été aidé par un maître de l’Île du Phénix Divin, il n’y avait rien d’extravagant à imaginer qu’il ait réussi à tuer Ouyang Dihua en outrepassant la vigilance des gardes présents ce jour-là.
Yang Zhen ajouta alors : « J’ai également reçu d’autres informations, Aîné Ouyang. Une fois de retour dans le royaume, Qin Ziya s’est rendu en secret auprès des parents de Lin Ming et on ne les a plus revus depuis. Selon moi, il lui aura sans doute demandé de les placer en lieu sûr, mais pourquoi…
— Tu es sûr de ce que tu dis ? » Les lèvres d’Ouyang Boyan se courbèrent en une sombre grimace. S’il avait seulement des suspicions jusqu’ici, une vague d’intention meurtrière se déversa dans son cœur en écoutant Yang Zhen. De qui Lin Ming pourrait-il avoir peur à travers tout le Royaume du Grand Avenir sinon d’Ouyang Boyan ? Aurait-il pris ce genre de précautions s’il n’avait rien eu à se reprocher ?
Ouyang Boyan était nettement plus fort que Lin Ming. En revanche, son statut était en réalité largement inférieur au sien. Lin Ming n’était pas seulement un simple disciple direct, d’après les informations de Qin Ziya et des Sept Profondes Vallées, il possédait des liens mystérieux avec l’Île du Phénix Divin, une secte de grade quatre de haut niveau.
L’influence d’Ouyang Boyan faisait pâle figure en comparaison. Mais qu’importe, il n’était pas le genre de personne à courir désespérément après Lin Ming au péril de sa vie simplement pour venger son neveu.
Mieux valait attendre patiemment jusqu’à ce qu’une occasion se présente de l’éliminer sans faire d’émules. Puis, une fois qu’il saurait où se trouvaient ses parents, il les tuerait à leur tour, avant d’éradiquer l’ensemble de la Famille Lin. C’était là le seul moyen d’apaiser la haine qui lui morcelait le cœur.
