Chapitre 251 – La consultation
Le Prince Edessak Auguste ? Quel rapport a-t-il avec le danger susceptible d’entraîner une tragédie ? De plus, cette affaire semble avoir attiré l’attention de M. Le Fou !
Audrey associa aussitôt le nom à un visage, ce qui fit naître en elle une grande inquiétude et un doute.
Selon elle, les choses qui attiraient l’attention du Fou étaient soit très dangereuses, soit extrêmement secrètes, soit d’une grande importance et n’avaient rien de simple. Le Vrai Créateur, par exemple, avait tenté de descendre sur Backlund avec l’aide de Lanevus et en se servant des pénibles conditions de vie du quartier des usines du Quartier Est, puis la carte de l’Empereur Noir de Roselle ou encore la mort du Duc Negan et l’Ordre de l’Ermite du Crépuscule.
Au vu de ces exemples, Audrey avait de bonnes raisons de croire que, mal géré ou trop peu pris au sérieux, l’événement majeur impliquant le Prince Edessak entrainerait inévitablement une très, très terrible tempête !
Oui… Voilà un moment que le Prince Edessak ne m’a pas importunée. Soulagée, je n’y ai guère réfléchi. Au bal précédent, il m’a retenue chaleureusement pour discuter de sujets ennuyeux, s’essayant à la mauvaise humeur pompeuse. Mais deux ou trois jours plus tard, devenu plutôt froid, il m’a même délibérément évitée… Il faut que je trouve une occasion d’interroger Père à son sujet, mais je ne devrai pas me montrer trop curieuse, sans quoi il se pourrait fort qu’il accepte la demande en mariage de la famille royale… se remémora Audrey, avec l’impression que ses épaules s’affaissaient sous ce poids.
Elle n’avait jamais aimé le Prince Edessak ni ses deux frères aînés et elle n’avait pas l’intention de devenir princesse consort. La raison en était très simple. Les adeptes de la Déesse de la Nuit Éternelle ne pouvaient accepter que, durant des générations, la famille Auguste ait placé sa foi dans le Seigneur des Tempêtes. Cela signifiait que leur arrogance, leur suffisance, leur mépris et leur excentricité à l’égard des femmes avaient pénétré au plus profond de leurs os. Il était difficile de les changer et aux yeux de la jeune femme, c’était intolérable.
À la pensée de l’environnement strict, vieillot et extrêmement conservateur qui serait le sien si elle devenait princesse consort, elle deviendrait certainement folle et s’enfuirait, faisant fi de tout. Aussi n’était-elle pas le moins du monde touchée par les flatteries un peu racoleuses des princes, cela avait plutôt le don de la rebuter.
Edessak Auguste… Son nom laisse entendre qu’il fait partie de la famille royale. Je me souviens vaguement qu’il est prince… Que peut-il bien faire de dangereux ? Je n’ai aucun moyen d’entrer en contact avec lui… Bon, je peux demander de l’aide à Miss Audrey et au Vicomte Glaint, mais il faut que je trouve un prétexte pour éviter tout soupçon de leur part.… se dit Fors, les sourcils légèrement froncés.
Quoique très intéressé par le sujet, Alger n’osait pas interroger Le Fou qui, manifestement, n’avait fait que leur donner un indice. Il réfléchit deux secondes, puis s’adressa à Justice, au Magicien et au Monde :
– « L’atmosphère sur la mer est également loin d’être calme. Cela pourrait avoir un lien avec Backlund, tout comme ces machines. »
Ses propos étaient totalement dénués de fondement. Il entendait simplement exagérer le degré de danger et laisser les trois membres du Club de Tarot de Backlund enquêter activement.
… Je dois dire que M. Le Pendu agi parfaitement de concert… pensa Klein, qui, resté à l’écart, observait.
Il abandonna l’idée de faire dire au Monde quelque chose de semblable.
Il n’avait mentionné que le Prince Edessak, pas la dame au saphir soupçonnée de détenir un Artefact Scellé de grade 0. Il n’avait même pas évoqué la possibilité que l’affaire dans laquelle le Prince Edessak pourrait être impliqué ait un rapport avec 0-08 et Ince Zangwill dans la mesure où il ignorait la situation de cet Artefact Scellé de premier ordre capable même de détruire un pays. Il ne pouvait se fier qu’à d’infimes indices et faire suppositions dont il n’était pas vraiment certain. S’il communiquait directement les points clés à Justice et à La Magicienne, il craignait que leurs investigations ne soient détectées par la cible dès le moment où elles focaliseraient sur elle.
C’était aussi la raison pour laquelle Klein n’avait pas cherché à en informer la Conscience Collective des Machines. S’il se fiait à ses suppositions concernant l’Artefact Scellé 0-08, il suffirait qu’il quitte la rue Minsk et se rende en voiture à la Cathédrale du Levier ou à celle de la Vapeur pour être confronté à une attaque inattendue et absolument imparable, comme l’éruption d’un Artefact Scellé caché sous terre ou le coup fatal d’un Transcendant de Haute Séquence.
Seul le brouillard gris lui permettait de ne pas s’inquiéter de tels problèmes. Dans une certaine mesure, il pourrait en informer Justice et La Magicienne d’une manière plus douce, plus détournée et plus voilée.
De plus, le jeune homme avait d’autres projets. Il s’agissait de “quitter” Backlund, de tirer sa révérence en tant que personnage secondaire parmi les personnages secondaires et de changer d’apparence sans que personne ne s’en aperçoive. Il reviendrait ensuite discrètement et contacterait la Conscience Collective des Machines sans être repéré par l’Artefact Scellé de grade 0 !
Espérons que cela réussisse et qu’il y ait une chance de trouver Ince Zangwill ! Oui, l’hypothèse est qu’il est effectivement impliqué dans cette affaire… Mais… une minute, alors que M. Azik était à la recherche d’Ince Zangwill, il a eu un conflit avec le MI9. Il était secrètement recherché, et le MI9 a toujours été considéré comme une faction militaire pro-royale… Cette série de coïncidences autour du Prince Edessak est assez similaire aux caractéristiques dont a fait montre l’Artefact Scellé 0-08 par le passé… Cela semble indirectement confirmer l’existence d’Ince Zangwill…
Klein ferma les yeux, et les bottes brillantes et la main blanche lui revinrent en mémoire.
Il s’adossa à sa chaise et esquissa un léger sourire :
– « Mesdames et Messieurs, nous nous retrouverons la semaine prochaine. »
…
Quartier de l’Impératrice, dans l’opulente villa du Comte Hall.
Debout devant le miroir en pied, Audrey fixait son reflet, le regard dans le vague.
Il y avait de bonnes et de mauvaises nouvelles pour elle à cette réunion du Club du Tarot.
La bonne était qu’elle était sur le point d’obtenir l’un des principaux ingrédients de la potion du Psychiatre.
Même si elle n’était plus la jeune fille ignorante qui avait acheté pour mille Livre des connaissances générales de base au Pendu et si elle connaissait le prix approximatif de nombreux ingrédients Transcendant, elle ne voyait pas d’inconvénient à payer le prix fort pour les yeux de Dragon Miroir.
Depuis l’assassinat du duc Negan, la jeune femme avait le désir et la motivation d’augmenter au plus vite sa séquence pour obtenir la puissance de combat correspondante. Ne voulant pas attendre plus longtemps, elle était prête à payer le prix. Si l’on trouvait les ingrédients et que le prix n’en soit pas trop élevé, elle accepterait aussitôt l’offre au cas où quelque chose d’inattendu se produirait.
C’est comme pour un bijou précieux sur lequel de nombreuses aristocrates auraient jeté leur dévolu, ou comme pour un pur-sang à la lignée unique, comme les apprécient les hommes. Le supplément est inévitable et incontournable. Parfois, il n’est pas impossible que le prix double ou triple… D’ailleurs, Fors étant occupée à contacter son professeur, il ne faudrait surtout pas qu’elle perde son temps et prenne des risques. Elle ne sait pas que je suis Justice… se dit Audrey, indifférente.
Quant aux mauvaises nouvelles, nul doute qu’elles étaient liées à l’affaire du Prince Edessak. Cela la rendait soucieuse et inquiète.
Heureusement que M. Le Monde a appris la nouvelle et que M. Le Fou nous a prévenus, sans quoi, qui sait comment les choses auraient tourné… Allez Audrey ! Avec de telles conditions, tu devrais pouvoir résoudre ce problème !
La jeune fille dessina le signe de la lune cramoisie sur son reflet dans le miroir et s’efforça de se montrer optimiste.
Puis, maîtrisant ses émotions, elle se dirigea vers la salle de musique avec l’intention de prendre sa leçon de piano comme si rien ne s’était passé.
En effet, le Comte Hall, son épouse et Hibbert Hall ne rentreraient pas avant le dîner, et pour l’heure, elle n’avait personne à qui demander des informations. Elle ne pouvait que se convaincre de rester calme, posée et patiente.
En attendant l’arrivée du professeur, Audrey joua de façon décontractée, profitant de la belle mélodie pour purifier son esprit et son âme.
Lorsqu’elle eut terminé, elle s’aperçu que Susie avait ouvert la porte et était venue s’asseoir à côté d’elle. Elle portait encore une paire de lunettes à monture dorée autour du cou.
– « Quels problèmes avez-vous rencontrés, Audrey ? Le son de votre piano me dit que quelque chose vous contrarie », dit soudain la chienne.
La jeune fille se figea, ne sachant que répondre.
Elle avait soudain l’impression qu’avoir chez soi un “chien qui lit dans les pensées” n’était pas nécessairement une bonne chose…
…
Dans le camp où brûlait un feu…
Les yeux fermés, Derrick Berg se remémora tranquillement ce qui s’était passé lors de la réunion du Club du Tarot et s’assura qu’il n’avait pas oublié les souvenirs de ses expériences répétées.
Après un temps indéterminé, il rouvrit ses yeux pleins d’espoir. Cependant, il ne vit que des flammes et ses coéquipiers, tout comme dans ses souvenirs.
Colin, le Chasseur de Démons qui était assis jambes croisées contre un pilier de pierre, leur dit :
– « Nous nous mettrons en route après 50 éclairs. »
Derrick sut alors avec certitude que tout ce qui s’était passé auparavant n’était ni un rêve ni une hallucination.
…
Quartier de Cherwood, au 15 rue Minsk…
Klein descendit au rez-de-chaussée et alla s’asseoir dans la salle d’activités, appréciant la chaleur de la cheminée.
Il ne prit ni journal ni livre, mais se balança tranquillement dans le fauteuil.
Tout était paisible et silencieux lorsque soudain, il entendit sonner à la porte.
Vêtu d’une chemise d’intérieur et d’un gilet en cachemire, le jeune homme se leva et se dirigea vers la porte. Il l’ouvrit et eut un petit rire. Le visiteur le surprit :
– « Bonjour, Emlyn. N’êtes-vous pas censée aider à l’Église de la Moisson à cette heure ?»
C’était le beau vampire un peu efféminé, aux cheveux tirés en arrière, en oblique.
L’expression de l’arrogant personnage se figea et il dut faire quelques efforts pour retrouver son calme.
– « J’ai quelque chose à vous demander, détective Moriarty ! », dit Emlyn en détachant ses mots.
Après l’avoir invité à entrer dans la salle d’activités, Klein retourna s’asseoir dans son fauteuil et demanda aimablement :
– « De quoi s’agit-il ? Le tarif d’une consultation est d’une livre, mais celle-ci ne saurait excéder une heure. »
Emlyn White ne prêta pas attention à ses paroles. Profondément plongé dans ses réflexions, il répondit :
– « Un important personnage attend de moi quelque chose… Bien que cette affaire, indirectement, soit en mesure de m’aider à résoudre mon problème, elle comporte une grande part de risque.
« Je n’ai pas d’amis, j’ai peur que mes parents s’inquiètent et vous êtes un détective Transcendant très compétent… Que me suggérez-vous ? Refuser ou accepter ? »
Résoudre votre problème ? Éliminer l’indice psychologique ?
– « “Quelque chose”, cela ne me suffit pas pour pouvoir vous conseiller », répondit Klein, pensif.
Après quelques secondes de silences, Emlyn White serra les dents et baissa la voix :
– « C’est en rapport avec ce Fou… »
– « Hein ? »
Klein faillit porter la main à son oreille.