Pour lui, vivre pour être lui-même signifiait devenir le meilleur possible. Au cours de son voyage, son clone avait réfléchi à des façons de se pavaner. Une telle pensée ne lui avait jamais traversé l’esprit. Il y avait bien eu une ou deux occasions où il avait occupé le devant de la scène de son propre gré, mais toujours pour progresser. Au fond de son cœur, il avait toujours été une personne humble, discrète, diligente et honnête.
Alors qu’une telle pensée s’imposait à lui, il eut l’impression que son cœur s’était soudainement libéré.
En même temps, son art de l’épée commença à changer. Ses techniques, du Cœur de fils entrelacés jusqu’à la Loyauté Indéfectible, étaient chargées de l’idée d’un lien. Avec ce nouvel état d’esprit, elles devinrent plus nobles, plus raffinées. Elles étaient teintées du désir d’avancer sans crainte. Il ferait tout pour protéger ses proches, mais il ne se permettrait jamais de devenir leur esclave. S’il était normal de gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille, cette dernière ne devait pas devenir sa seule raison d’exister, sans quoi un tel être se contentait de vivre pour vivre.
Foncer courageusement et devenir la meilleure version de lui-même, telle était la voie qu’il avait choisie. S’il pouvait obtenir la force et les capacités qu’il désirait, il gagnerait également de quoi protéger ceux qui lui étaient chers.
Ces deux notions ne s’opposent pas. Alors que les contradictions dans son cœur se dissipaient, il continua d’observer la bataille qui l’attendait.
L’affrontement entre les deux experts les plus puissants du Firmament avait rendu les spectateurs complètement silencieux. Quasiment aucun d’eux n’avait pu dire un mot.
– « Il est vraiment formidable, » murmura Petit Poussin avec incrédulité. « En seulement quarante ans, il a pu renforcer sa cultivation jusqu’à un tel point. Le Monarque Subjuguant le Ciel est vraiment un génie… »
Le Monarque Impérissable avait vécu très longtemps et avait même ressuscité. Pourtant, il était loin d’arriver à la cheville de cet homme, ce qui suffisait largement à souligner la différence entre leur talent. L’écart était tel qu’il ne put s’empêcher de ressentir un certain désespoir. Après s’être lamenté sur son sort, Petit Poussin se tourna vers le jeune homme à côté de lui, et il secoua à nouveau la tête.
En y réfléchissant, il se dit que son Jeune Maître n’était nullement inférieur au Monarque Subjuguant le Ciel. En fait, il semblait même que le jeune homme avait l’avantage. Il pouvait tout à fait atteindre le même niveau que les deux autres d’ici une dizaine d’années…
Luo Ruoxin abaissa son épée et recula de quelques pas avant de lancer, glaciale : « Impressionnant. Vous avez réussi à devenir aussi puissant en seulement quarante ans. Cependant, il me reste encore une dernière technique. Si vous parvenez à la surmonter, ce sera ma défaite. »
– « J’ai aussi un dernier coup à placer, » répondit le Maître Enseignant Kong avec son sang-froid habituel. « Et même si je perds, j’espère que vous pourrez respecter notre accord. »
– « Je ne suis pas du genre à revenir sur ma parole. J’attends la même chose de votre part si je meurs. »
– « Bien sûr ! »
– « Ne perdons pas davantage de temps dans ce cas. »
Ayant pris une décision, ils agirent tous les deux simultanément.
Un Sens de l’Épée d’une puissance incomparable s’éleva dans les airs tandis qu’une canne s’abattait avec une puissance insondable. Le choc entre les deux frappes généra un rayonnement si aveuglant qu’il en éclipsa la lueur de la lune.
Pendant un instant, le Firmament tout entier fut aveuglé.
– « Qu’est ce que c’était ? »
– « Je n’en ai aucune idée… »
– « Est-ce le combat entre le Dieu Monarque du Ciel de la Liberté et le Monarque Subjuguant le Ciel ? »
– « Ils se battent sur la lune ? »
– « Ce doit être ça ! Qui d’autre pourrait créer une telle agitation ? »
…
Dans un même mouvement, d’innombrables personnes dans le Firmament levaient la tête pour regarder le satellite, qui semblait presque aussi brillant que le soleil.
Dans cette lueur aveuglante, la canne du Maître Enseignant Kong semblait forger un long fleuve temporel devant lui. D’innombrables silhouettes y étaient visibles, englobant l’histoire du monde depuis des dizaines de milliers d’années. Chacun de ces instantanés du passé contenait un Maître Enseignant Kong. Certains d’entre eux étaient furieux, certains souriaient, d’autres étaient joyeux et quelques-uns étaient tristes… Ensemble, ils semblaient faire tourner la roue de la chronologie, donnant vie aux véritables pouvoirs des lois temporelles.
Il s’agissait de sa technique la plus puissante, Printemps et Automne !
Un pinceau pour dicter le printemps et un pinceau pour dicter l’automne. Cette technique exploitait tout, du passé au présent. Les éclats de ces volontés qui existaient à travers le continuum temporel s’alignaient les uns sur les autres, conférant à l’assaut une force bien au-delà de toute imagination. La Lune entière paraissait pouvoir s’effondrer sous la simple pression de son aura. Pris dans le tourbillon de l’Histoire, le granit gris lunaire devint blanc avant de fondre en poussière.
Personne, aussi fort fût-il, ne pouvait s’opposer à la marche du temps. Ce pouvoir transcendantal constituait la base de l’univers.
– « Ruoxin… »
Zhang Xuan n’aurait pas imaginé que le Maître Enseignant Kong aurait réellement un tel atout dans ses manches, et il ne put s’empêcher de joindre ses mains par pure nervosité. Regardant anxieusement la jeune femme, il la vit lui jeter un regard ardent. L’instant d’après, elle fixait son adversaire, son visage débordant de royauté.
– « Je m’y attendais… »
Elle leva son épée et perça droit vers le fleuve du temps. La lame se figea, comme si elle était destinée à ne jamais atteindre sa cible. Pourtant, le Sens de l’Épée qui en jaillit le remonta et dévasta l’histoire.
Contrairement à la nature tridimensionnelle de l’espace, l’écoulement du temps était unidirectionnel. Il était incapable de changer son flux et d’esquiver l’attaque de Luo Ruoxin. L’arme visait la faiblesse de Printemps et Automne, transperçant les innombrables Maîtres Enseignants Kong d’un coup.
En fin de compte, le passé n’était rien d’autre que le passé. Il n’avait pas le pouvoir de dicter le présent et l’avenir !
– « C’est le Grand Codex du Printemps et de l’Automne. Elle l’a obtenu sur le Continent des Maîtres Enseignants et en a découvert tous les secrets, » marmonna le prodige, légèrement pâle.
Il était évident que l’art de l’épée avait été créé dans le seul but d’abattre le Maître Enseignant Kong. En utilisant la technique adverse comme intermédiaire, elle avait canalisé son Sens de l’Épée vers les lois temporelles pour percer l’écoulement du temps. Elle n’aurait jamais pu créer un tel mouvement sans avoir eu accès au Grand Codex.
Et c’était lui qui était entré dans le Temple de Confucius et avait obtenu pour elle cet artefact. Si le Maître Enseignant Kong était tué, il serait complice.
Il se tourna vers lui, espérant qu’il serait capable d’éviter ou de surmonter l’attaque d’une manière ou d’une autre. Pourtant, au lieu de riposter, il abaissa la canne dans sa main.
– « Pourquoi ? » cria Zhang Xuan.
Il se jeta en avant, voulant le pousser à se reprendre, mais Petit Poussin le retint résolument.
– « Cette technique fait que son être actuel se chevauche avec ses autres présences dans l’histoire. Si les autres sont tués, il ne pourra pas survivre. C’est la plus grosse faiblesse de cette technique. On ne peut rien faire pour le sauver, » expliqua le Monarque Impérissable en secouant la tête.
– « Mais… Il doit y avoir un moyen… D’une manière ou d’une autre… » Zhang Xuan était désespéré. Au fond de lui, il savait que le poulet avait raison. Le temps fonctionnait en ligne droite. Si le passé était effacé, le présent ne pouvait tenir.
Printemps et Automne était une technique puissante, mais qui présentait une faille terriblement dangereuse.
– « N’oubliez pas votre promesse… » Le Maître Enseignant Kong jeta un coup d’œil à Zhang Xuan et sa voix résonna dans ses oreilles.
Puis son corps commença à tomber vers le sol.
Boum !
Sous la puissante vague de Sens de l’Épée de Luo Ruoxin, le fleuve du temps fut découpé et les silhouettes s’y dissipèrent les unes après les autres.
Le Maître Enseignant Kong ne put toucher la poudre lunaire. Son corps se désintégra avant cela en une brume chargée des pouvoirs des cieux. Celle-ci fonça vers le ciel, voulant échapper à la Lune. Cependant, Luo Ruoxin tendit rapidement la main et l’attrapa, l’empêchant de s’échapper.
Honglong !
Tout cela se produisit en un instant et l’éclat aveuglant se dissipa. Cependant, les énergies violentes provoquées par l’affrontement continuèrent à dévaster les environs. Elles se rassemblèrent dans l’espace au-dessus de leurs têtes et tombèrent sous la forme d’une forte averse.
Comme si le ciel lui-même pleurait.
Le duel entre les deux Dieux Monarques était terminé.
Le Maître Enseignant Kong était mort !