Une rage indicible s’empara du cœur du jeune homme à la tunique jaune à cette vue.
Depuis ce soir funeste où leur secte avait été anéantie, il n’avait jamais vu un seul sourire sur le visage de Lan Yi. Il avait beau la flatter et essayer de satisfaire tous ses besoins en veillant sur elle avec tendresse et dévouement, la jeune femme ne réagissait que rarement. Au cours des deux premiers jours, elle n’avait d’ailleurs quasiment pas parlé. Son visage affichait un air morne et une mine dévastée en toute circonstance…
Et pourtant, la même Lan Yi se tenait aux côtés d’un jeune homme de son âge, un sourire radieux sur les lèvres.
Comment aurait-il pu endurer une chose pareille ?
Il avait déjà relevé tant d’épreuves depuis leur départ, veillant sur elle avec un soin de tous les instants. Tout ça pour ne recevoir que des mots froids et distants en retour… Pourtant, à peine quelques mots charmeurs de ce petit enfoiré et la voilà qui souriait avec joie !?
Les poumons du jeune homme à la tunique jaune se gonflèrent de colère.
Évidemment, il n’aurait pas pu imaginer que c’était Lan Yi qui était allée à la rencontre de Lin Ming. Il se figura simplement en les voyant que ce dernier cherchait à la charmer en lui murmurant des mots doux.
Leur relation avait beau relever davantage du fantasme que de la réalité, dans son esprit malade, le jeune homme à la tunique jaune n’en voyait pas moins déjà Lan Yi comme sa femme. Ce n’était pas seulement l’histoire tragique d’un homme désabusé à vingt ans, ou la marque d’une puissante volonté de ‟posséder,” émanation tordue d’un désir de revanche façonné par toutes ces années de frustration à voir cette déesse trop parfaite sans jamais pouvoir l’approcher. Non, c’était essentiellement pour les nombreuses pilules ouverture du paradis qu’elle possédait et qui représentaient son seul espoir d’atteindre le Xiantian.
Quel salopard ! Je me démène sur le champ de bataille et pendant ce temps-là ce trouillard en profite pour approcher Lan Yi en douce !
Sa rage bouillonnait en lui. Il avait clairement le sentiment d’être pris pour un idiot. La cité qu’il était en train de défendre avec toute son énergie était celle de Lin Ming, mais en plus de ne rien faire pour l’aider, celui-ci se permettait de faire des avances à sa ‟femme.” Toute la colère contenue dans son cœur fut d’un seul coup dirigée contre Lin Ming. La différence d’attitude que manifestait Lan Yi à son égard le rendait malade. S’il ne le tuait pas ici et maintenant, il ne réussirait jamais à laver cet affront.
— Attends un peu, enfoiré ! lâcha-t-il avec colère. Et il partit comme une balle en direction du camp.
…
Là-bas, Lan Yi discutait encore avec Lin Ming. À vrai dire, elle ne savait pas grand-chose à son sujet. Elle se contentait donc de questions ouvertes et d’insinuations pour essayer de vérifier si le garçon qui se tenait devant elle était bien Lin Ming des Sept Profondes Vallées.
C’eût été impoli de le lui demander directement. Et puis cela risquait de l’amener à penser qu’elle avait une idée derrière la tête. Lan Yi ne voulait certainement pas ça, puisqu’il se méfierait d’elle à coup sûr.
La jeune femme était bien consciente de la différence de statut qui les séparait. La secte à laquelle elle appartenait n’était plus qu’un vaste champ de ruines… mais même sans ça, l’écart qui les séparait en tant qu’artistes martiaux était tout simplement incommensurable.
À en croire les rumeurs et à moins que sa formidable ascension ne connaisse une fin brutale, Lin Ming entrerait un jour au Xuandan. Tandis que de son côté, Lan Yi savait déjà que ses chances d’atteindre l’extrême Xiantian étaient proches de zéro. Si les choses se passaient bien pour elle dans les décennies à venir, elle irait peut-être jusqu’au Xiantian moyen, voire avec beaucoup de chances jusqu’au haut Xiantian. Un résultat dont elle se serait amplement satisfaite jusqu’à encore récemment.
Mais ce n’était plus le cas aujourd’hui. Plus depuis ce jour funeste, cette nuit tragique où elle avait vu ses amis, sa famille et tous ceux qui comptaient à ses yeux lui être arrachés dans un bain de sang.
Cette nuit-là, alors qu’elle assistait sans rien pouvoir faire au massacre de tous ces êtres chers et alors qu’elle recueillait les dernières volontés de son maître, une haine viscérale naquit au plus profond de son cœur. Une haine non pas pour ses ennemis mais pour elle-même. Une haine irréfrénable et dévorante. Elle s’en voulait d’être aussi faible. Elle s’en voulait de ne pas valoir davantage qu’un insecte face à ces maîtres Xuandan. Elle s’en voulait d’être aussi insignifiante…
Conséquence directe de son impuissance, ce dégoût donna naissance à une soif de pouvoir intarissable chez la jeune femme. Le Xiantian ne suffisait plus, il lui fallait désormais atteindre le Xuandan. Et un jour viendrait où elle réunirait tous les maîtres de l’Horizon Austral pour marcher sur le Royaume Démoniaque de la Mer Australe. Ce jour-là, elle anéantirait les malfaisants et pourfendrait les démons, vengeant ainsi sa secte, son maître et tous ses condisciples.
Mais comment devait-elle s’y prendre ? Par où fallait-il commencer ? Son maître lui avait confié les dernières ressources de la secte et un ultime vœu d’espoir avant de lui dire de s’enfuir. C’était là tout son héritage, et elle n’osait pas se tourner vers une autre secte par peur qu’ils ne le convoitent…
D’un autre côté, elle pourrait difficilement devenir plus forte sans rejoindre une secte, et encore moins atteindre le Xuandan.
Si elle n’avait pas le choix sur ce point, elle pouvait au moins décider de la secte qu’elle choisirait de rejoindre. Et à vrai dire, elle avait une idée bien arrêtée sur la question – l’Île du Phénix Divin.
Les femmes étaient en vaste majorité sur l’Île, à hauteur de 90 %, et les disciples du Phénix Divin étaient connus pour leur savoir-vivre. Ils comptaient également de grands maîtres dans leurs rangs, des méthodes de cultivation de haut niveau, une histoire riche et des ressources en abondance. En bref, elle ne pouvait pas rêver mieux…
Mais si Lan Yi était exceptionnelle dans une faible secte de grade trois comme la Lune Montante, une fois à l’Île du Phénix Divin, ce ne serait plus qu’une disciple tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Il y avait même très peu de chances qu’elle soit acceptée. Et si par miracle elle y parvenait, ce serait au mieux en tant que disciple de cercle extérieur. Avec un tel statut, il lui serait impossible d’accéder aux méthodes et techniques fondamentales, et sa vie lui filerait entre les doigts.
En définitive, elle ne serait pas plus avancée…
Mais alors que son désarroi allait grandissant, voilà que le destin la plaçait sur la route d’un jeune homme répondant au nom de ‟Lin Ming,” comme le héros des Sept Profondes Vallées.
Lan Yi savait quelle importance l’Île du Phénix Divin accordait à ce Lin Ming là. Certains bruits couraient même à propos d’une relation mystérieuse entre Sa Sainteté Mu Qianyu et lui.
Quel genre d’existence était cette Mu Qianyu ?
N’était-elle pas promise à prendre un jour les rênes de l’île ? Sans compter que c’était une formidable artiste martiale. Elle avait atteint le Xiantian a seulement vingt-deux ans, et d’ici quelques années, elle pourrait même avancer jusqu’au Xuandan et devenir un grand maître.
Face à quelqu’un comme elle, les prétendus ‟talents” des dix-neuf sectes de grade trois faisaient bien pâle figure.
Quelques mots en faveur de Lan Yi de sa part et elle se retrouverait aussitôt propulsée au rang de disciple de cercle intérieur. Un mot, un seul, cela ferait toute la différence. Lan Yi n’avait que faire des ressources de cultivation telles que les pilules ou les pierres de véritable énergie. Non, ce qu’elle désirait elle, c’était les méthodes de cultivation antiques de l’Île du Phénix Divin.
Utiliser les méthodes de cultivation de la Lune Montante pour avancer jusqu’au Xuandan relevait de l’exploit.
Évidemment, Lan Yi ne comptait pas demander son aide à Lin Ming sans rien offrir en retour. Leur rencontre était un pur hasard et ils se connaissaient à peine – pour ne pas dire du tout – alors pourquoi voudrait-il l’aider ?
Voilà comment Lan Yi voyait les choses. D’abord, elle essaierait de sympathiser, ensuite, elle lui ferait miroiter les ressources de la Lune Montante et alors là seulement elle lui demanderait son aide.
— Mademoiselle Lan, s’il n’y a rien d’urgent, je vais retourner sur le champ de bataille.
Lin Ming ne voulait pas continuer à perdre son temps à discuter. Les bêtes féroces étaient si nombreuses et l’armée si fragile… Chaque seconde perdue ici aurait pu lui permettre de sauver une vie là-bas.
— S’il vous plaît, jeune Héros Lin, juste un moment ! Mon frère-apprenti combat sur le front, il devrait pouvoir tenir encore un peu.
Le jeune maître de la Lune Montante arrivait au même moment au camp, et il ne perdit pas une miette de ce qu’elle venait de dire.
« Mon frère-apprenti combat sur le front, il devrait pouvoir tenir encore un peu. »
Sous-entendu, ‟laissons l’autre imbécile se battre et continuons de papoter tranquillement.”
M*rde !
Ni une, ni deux, le sang lui monta à la tête. Jamais de toute sa vie on ne l’avait autant mis en colère. Il avait vraiment été pris pour un con. Pendant que lui repoussait la harde sauvage, un petit péquenaud essayait de lui piquer sa femme ?
Un vulgaire gamin à la Condensation de l’Impulsion comme lui a des vues sur Lan Yi ? Mais pour qui y s’prend !?
T’as un peu de talent, et alors ? Je vais te démolir !
Le jeune homme à la tunique jaune atterrit sur le sol dans une bourrasque cinglante et bondit aussitôt devant Lin Ming, la mine renfrognée et le visage bouillonnant.
— T’as du cran toi ! lâcha-t-il les lèvres frémissantes.
Lin Ming inclina la tête d’un air interloqué. Pourquoi ce type débarquait d’un seul coup pour lui aboyer dessus comme un chien enragé ? Il n’en avait pas la moindre idée…
— Frère-apprenti ! qu’est-ce qui vous prend !?
Surprise, la jeune femme s’interposa immédiatement entre eux en se plaçant devant Lin Ming. Elle ne savait pas non plus quelle mouche avait piqué son condisciple pour vouloir ainsi goûter à la lance de Lin Ming, mais les éclairs dans son regard laissaient peu de doute quant à ses intentions… Il venait pour en découdre.
— Sœur-apprentie ! vous… vous le protégez ? Le jeune homme à la tunique jaune serra les dents de colère, sa main fermement accrochée à son épée. — Bien ! Très bien ! reprit-il en jetant un regard noir à Lin Ming. Tu t’appelles Lin ? interrogea-t-il par le biais de véritable énergie. Eh bien ! laisse-moi te dire, Lin, les types de ton espèce ne jouent pas dans la même cour que ma sœur-apprenti. Alors t’approches plus d’elle, c’est clair ?
Voyant que la situation pouvait dégénérer à tout moment, Lan Yi envoya un message de véritable énergie à son condisciple pour calmer le jeu.
— Mais qu’est-ce qui vous prend, frère-apprenti ? Avez-vous la moindre idée de qui il s’agit ?
— De qui il s’agit !? répéta-t-il avec hystérie. Et pourquoi j’en aurais quelque chose à secouer ? Sa colère l’emportait sur tout le reste, les mots de Lan Yi ne trouvèrent donc pas le moindre écho dans son esprit. Lin Ming avait courtisé sa femme, point. Il aurait pu être l’empereur des cieux que ça n’aurait rien changé.
Et de toute manière, sur quel personnage exceptionnel aurait-il bien pu tomber dans une cité de mortels insignifiante comme celle-ci ?
— Écarte-toi ! et que je ne te vois plus tourner autour d’elle, menaça-t-il à nouveau par le biais de véritable énergie. C’est la dernière fois que je te le dis. Sinon crois-moi, je te le ferais payer cher !
Lin Ming ne voulait pas perdre une seconde de plus à écouter les inepties de ce chien enragé. Pas plus qu’il n’était enclin à démêler ce malentendu. Quoique c’eût été plus juste de dire qu’il ne dédaignait même pas donner une explication. Avec sa force et son statut, pourquoi gaspillerait-il son souffle et sa salive à se justifier auprès de cet imbécile ?
La harde sauvage redoublait de férocité, et avec tous les maîtres qui revenaient au camp les uns après les autres, la garnison n’allait plus pouvoir la contenir très longtemps.
Justement, au même moment, une brèche apparut dans le mur de soldats. La formation était percée !
Lin Ming dégaina aussitôt la Lance Divine Pourpre et s’élança contre les bêtes féroces qui submergeaient déjà les troupes.
— Tu veux encore t’enfuir ? ricana le jeune maître de la Lune Montante en se lançant à sa poursuite, l’épée à la main. Il n’avait pas écouté un traître mot des conseils de Lan Yi. — Ne sais-tu faire que ça ? Tu n’oses pas concourir avec moi, tu es trop effrayé pour affronter une bête féroce de grade quatre, et maintenant tu fuis tes responsabilités ? C’est vraiment tout ce que tu as ?
La formation était brisée, et les créatures s’enfonçaient déjà à travers les lignes. À ce rythme-là, il ne resterait bientôt plus un seul soldat valide. Lin Ming n’avait pas une seule seconde à perdre avec cet énergumène.
Il fondit sur les bêtes féroces tel un éclair qui fend le ciel, et avant que les soldats aient le temps de réaliser quoi que ce soit, il ne restait déjà plus qu’une cohorte de cadavres dans son sillage.
Lin Ming n’avait plus aucune raison de cacher ses véritables capacités maintenant que Bi Luo ne représentait plus une menace.
La puissance de sa lance ne se manifestait qu’à travers des mouvements basiques, mais les pupilles de Lan Yi se contractèrent en le voyant. Une telle force surpassait largement les limites de la Condensation de l’Impulsion et rivalisait même avec celle du jeune homme à la tunique jaune.
Elle n’eut cependant pas le temps d’y réfléchir davantage que son visage perdit d’un seul coup toute couleur. Son condisciple venait de trancher à de multiples reprises avec son épée devant ses yeux ébahis, et plus d’une dizaine de traits d’énergie filaient déjà vers Lin Ming, le vent sifflant sur leur passage !
— Tu continues de m’ignorer ? Tâte donc un peu de mon épée ! Dans son élan de rage, le jeune homme ne retint pas sa main. Ces faisceaux d’énergie visaient directement les points vitaux de Lin Ming. S’il se faisait toucher, ses méridiens seraient sectionnés et il tomberait sur le champ.
— Impudent ! s’emporta Lin Ming. N’as-tu pas le moindre honneur ? Son visage s’assombrit aussitôt. Ce n’était clairement pas le moment de se battre entre eux, mais à force de provocation, l’insistance du jeune maître avait fini par avoir raison de sa patience…
« Wham ! »
Une lance fendit l’air et un torrent de véritable énergie azur rugit. De petits sons étouffés éclatèrent alors, tandis que chaque trait d’énergie d’épée était balayé par une force formidable.
