Le brouhaha retomba dans les gradins lorsque Ta Ku s’avança sur scène. Il se tenait face au cristal de mesure de la force, son bâton en fer élastique violet-noirâtre entre les mains. Tout à coup, une puissante explosion retentit. Il venait de l’enfoncer directement dans le sol en perçant à travers les dalles du terrain de tournoi.
Il malaxa ensuite ses poings en faisant craquer ses articulations. Les sons de ces craquements ressemblaient à de petites déflagrations.
Il écarta les jambes en descendant doucement sur ses genoux pour prendre la posture du cheval, puis il inspira profondément à plusieurs reprises afin de stabiliser son mental et son physique ; tel un lion rassemblant toute son énergie pour porter un seul et unique coup fatal.
Dans le public, tout le monde le regardait en retenant son souffle, les Grands Généraux, Liang Long, Zhou Yu…
Creek !
Dans un autre son de craquement d’articulation, il ferma le poing droit avant de l’aligner à hauteur de cible et de l’armer petit à petit.
Hahn ! s’écria-t-il tandis que son corps s’élançait en avant. Son poing était pareil à un météore au moment de frapper le cristal du pilier de mesure. L’on entendit seulement un bruit sourd et le pilier se mit à trembler violemment, comme s’il était sur le point d’exploser. Le faisceau de lumière bondit vers le haut tel un geyser en s’élevant au-dessus de Ta Ku.
Deux mètres soixante-dix, soit neuf mille cinq cents jins !
La foule entra en ébullition. Ce résultat dépassait largement les limites d’un artiste martial à la Transformation du Corps. La limite se situant habituellement autour de neuf mille huit cents jins au sommet de la Condensation de l’Impulsion.
Les artistes martiaux Houtian eux-mêmes ne pouvaient pas dépasser neuf mille jins. Plus votre cultivation avançait et plus votre véritable énergie prenait le pas sur votre force physique. Il y avait tout simplement une limite à la force d’un être humain et, au plus vous en approchiez, au plus il devenait difficile de continuer à progresser.
Par conséquent, Ta Ku était sans doute plus fort que Qin Ziya en personne.
Les regards dans les gradins se tournèrent tous vers Lin Ming. Il avait beau être connu pour sa grande force, neuf mille cinq cents jins représentaient tout bonnement une montagne infranchissable.
« Je crois que c’est ton tour, Lin Ming. » Ta Ku se frottait les poings, plus que satisfait par sa performance. Il avait déjà fait d’autres essais au cours des précédentes semaines et neuf mille cinq cents jins correspondaient à son meilleur score.
Lin Ming s’avança à son tour et posa la main à plat sur le cristal. Il voulait mesurer le potentiel de la matrice qui supportait le pilier. Ça devrait le faire, pensa-t-il. Elle devrait pouvoir encaisser mon coup.
Tout le monde retenait son souffle en attendant de le voir frapper. Qui n’était pas curieux de savoir jusqu’où il pouvait aller ?
De son côté, il relâcha les tensions dans son corps et son esprit. Il était comme un arc prêt à tirer en déployant tout son potentiel. Le manuel des Vertus Chaotiques des Méridiens de Combat était précisément tourné vers le développement du corps. La véritable énergie de ceux qui pratiquaient cette méthode d’entraînement était particulièrement dense, et leur force physique absolument formidable. Le corps humain ne connaissait aucune limite avec les Vertus Chaotiques des Méridiens de Combat. Après la Condensation de l’Impulsion venait ‘Epuration de la Moelle’. Étape après laquelle, si vous surviviez, vous pouviez tenter d’ouvrir les Huit Portes Cachées Intérieures et les Neuf Étoiles du Palais du Dao. Arrivé à ce stade, votre corps pouvait affecter le monde. Vous pouviez anéantir des mondes entiers et briser des étoiles à la seule force de votre corps.
Évidemment, Lin Ming était encore loin, très loin de ce royaume. Mais son corps regorgeait tout de même de vitalité grâce à tout ce qui s’était passé au cours de ces derniers mois et tous les matériaux qu’il avait pu absorber. Il renfermait une énergie débordante, prête à exploser à tout moment. Énergie qu’il devait libérer, au risque de ne plus pouvoir la contenir.
Prenant une profonde inspiration, il descendit sur ses genoux en abaissant son centre de gravité. Sa colonne vertébrale se courba en arrière, comme un arc qui se bande. D’un rugissement, il sauta brusquement en l’air, son corps bondissant en avant, le poing semblable à un Dragon des Flots émergeant à la surface de la mer. Il heurta brutalement sa cible avec un élan invincible.
Bang !
Plus de dix mille jins de force jaillirent alors. Le poing brisa le cristal dans un puissant impact et le pilier se mit à trembler violemment. Le faisceau lumineux s’éleva immédiatement à trois mètres ; soit la hauteur maximale du pilier de mesure de la force !
Peng !
Le bruit du verre qui se brise résonna avec force dans l’air, et le pilier de cristal explosa en morceaux. Des nuages de poudre de pierre de véritable énergie retombèrent partout alentour comme une pluie d’étoiles scintillantes.
Pour la première fois de la journée, un silence absolu s’installa sur le terrain de tournoi. Tout le monde assistait à ce qui venait de se produire avec sidération.
« Il… il a détruit le pilier de mesure ? »
« Le cristal peut encaisser jusqu’à douze mille jins de force, et il vient pourtant d’exploser ? »
Qin Ziya était lui aussi particulièrement surpris. Il savait que Lin Ming possédait la force divine native, mais sans aucune idée de l’étendue réelle de sa force. À vrai dire, personne ne le savait. Dans tous les cas, elle se situait forcément au-dessus de treize mille jins, sans quoi il n’aurait jamais pu détruire le pilier de mesure.
Un être humain avec une force de treize mille jins n’était pas seulement rare dans le Royaume du Grand Avenir, mais à travers l’ensemble du Continent du Grand Dévers ! Tout simplement parce que la force physique n’augmentait plus au-delà du Xiantian.
Ainsi, la force des maîtres Xiantian ne dépassait pas dix mille jins.
« Tss… Une bête de somme est vraiment une bête de somme. Il ne rentre tout simplement pas dans nos standards. Je me demande avec quoi ses parents l’ont nourri. »
Avec le temps, Murong Zi s’était habituée aux bizarreries de Lin Ming. Par le passé, elle se serait exclamée de surprise, mais elle n’en fit rien cette fois. Elle avait fini par accepter la situation et ne s’étonnait plus de rien à son sujet.
Cependant, au même moment, Bai Jingyun qui se trouvait à ses côtés regardait fixement le centre de la scène, les yeux perdus dans le vide et l’esprit agité. Une force physique aussi importante ne changeait pas grand-chose dans un combat. Cela signifiait simplement que Lin Ming possédait un physique spécial, comme la force divine native, ou tout simplement qu’il avait mis la main sur un matériau rare capable d’améliorer sa force. Mais un sentiment vraiment étrange habitait Bai Jingyun…
Elle était convaincue qu’il détenait encore de nombreuses cordes à son arc. Sa puissance réelle dépassait assurément ce qu’il avait bien voulu montrer jusqu’à présent.
D’un autre côté, le bon sens lui commandait qu’il ne pouvait pas avoir assassiné Ouyang Dihua, quand bien même il pouvait tuer instantanément un maître au sommet de la Condensation de l’Impulsion. Mais Lin Ming n’était-il pas constamment en train de repousser les normes ? Qui sait de quels genres de miracles une existence telle que lui pouvait bien être capable ?
Ta Ku regarda la poudre de pierre de véritable énergie retomber sur le sol au milieu des morceaux du pilier de mesure et soupira en relâchant les épaules.
« Je reconnais pleinement ma défaite, dit-il en secouant la tête d’un air songeur. Si j’atteins un jour le sommet de la Condensation de l’Impulsion, ma force ne dépassera probablement pas les douze mille jins. Soit pas suffisamment pour détruire un cristal de mesure. Ta force incroyable me laisse sans voix, Lin Ming. Je n’ai rien d’autre à dire. »
La limite du cristal de mesure n’avait pas été fixée à douze mille jins pour rien, cela correspondait à la limite maximale théorique du corps humain.
« Tu ne devrais pas poursuivre aveuglément la force physique, Ta Ku ; tes efforts seraient mieux récompensés ailleurs. La force brute à ses propres limites après tout. »
Les artistes martiaux du Continent du Grand Dévers ne connaissaient pas l’existence des Huit Portes Cachées Intérieures et des Neuf Étoiles du Palais du Dao. Cela ne servait donc à rien de se focaliser sur cette voie. Renforcer son corps présentait des avantages certains, mais au-delà du Houtian, dix mille jins de force physique ne représentaient plus rien.
« Je sais bien, répondit humblement Ta Ku. Mais c’est le seul domaine dans lequel j’excelle. Je ne suis pas vraiment bon ailleurs. Enfin ! je vais d’abord commencer par atteindre la Condensation de l’Impulsion et après seulement je verrai les options qui s’offrent à moi. »
Ta Ku était déjà âgé de vingt et un ans, et n’allait pas réussir à achever la Transformation du Corps avant plusieurs années. À ce moment-là, il aurait déjà perdu toute valeur aux yeux d’une grande secte. En revanche, il pouvait très bien rejoindre l’armée et y devenir un général honorable et puissant qui massacre ses ennemis avec panache.
Cette image d’un homme immense écrasant les généraux adverses avec force depuis le sommet de son cheval suffirait à galvaniser les troupes et à inspirer des générations entières de soldats. Un artiste martial spécialisé dans la véritable énergie ne pourrait jamais transmettre un tel sentiment de grandeur aux yeux des mortels !
Bien qu’il ne puisse pas rejoindre une secte, Ta Ku n’en était pas moins destiné à vivre une vie trépidante faite d’honneurs, de reconnaissance, de statut et de richesses. Il se hisserait sans aucun doute au rang des dix grands généraux du Royaume du Grand Avenir. Il atteindrait le sommet du monde des mortels, sous le regard admiratif et passionné d’innombrables soldats.
Choisir une vie de mortel avait du bon. Il vivrait paisiblement et confortablement dans la gloire pendant au moins deux longs siècles. Il jouirait de l’affection et du respect de ses pairs et pourrait fonder une famille avec une épouse aimante.
S’il cherchait à l’inverse à poursuivre le sommet des arts martiaux, il se condamnerait à une existence interminable de souffrances. Il aurait constamment à repousser ses limites, à parcourir l’immensité du monde, à braver les plus grands dangers à la recherche de récompenses, à affronter d’autres maîtres au talent tout aussi incroyable… une vie sur le fil du rasoir. Et tout cela dans la solitude la plus totale ; la richesse, la gloire et les plaisirs de la vie n’ayant de cesse d’essayer de corrompre votre cœur des arts martiaux et de vous détourner de votre objectif. Il n’était pas rare pour un grand maître de passer des décennies coupé du monde dans le seul but de faire progresser sa cultivation.
Douleur et abandon, voilà ce que signifiait refuser son destin et s’arracher à l’emprise atemporelle du Samsara ! Depuis sa rencontre avec Mu Qianyu, Lin Ming était plus déterminé que jamais à suivre cette voie et à atteindre le sommet des arts martiaux !
Le champignon ne connaissait ni son début ni sa fin, pas plus que la taupe le printemps ou l’automne. Un personnage important du monde des mortels tel que le Maréchal du Royaume du Grand Avenir, Qin Xiao, ne vivrait pas plus de deux cents ans. Il n’était pas différent de la taupe aux yeux d’un grand maître au sommet des arts martiaux. C’était tout au plus un roi parmi les taupes.
Le Sorcier des Étendues Sauvages Australes avait vécu trente mille ans, laissant derrière lui soixante-douze pagodes destinées à exister pendant une éternité.
Des dizaines de milliers d’années, comment les habitants du Royaume du Grand Avenir pouvaient-ils se figurer ce que cela représentait ? Si ce n’est à travers des fables légendaires qui ne figuraient même pas dans les textes antiques. Selon l’adage, le papier voit passer un millénaire quand la soie s’envole après huit cents ans. Les parchemins de soie ne duraient pas plus de huit siècles, et les livres en papier, eux, jusqu’à un millénaire. Dans ces conditions, aucun ouvrage remontant à plusieurs dizaines de milliers d’années n’aurait pu arriver jusqu’à eux. Les légendes orales transmises de génération en génération étaient elles-mêmes, du moins pour la plupart, des histoires inventées de toutes pièces.
Lin Ming ne souhaitait pas devenir poussière après seulement quelques centaines d’années. Il aspirait à une seule chose, s’extirper coûte que coûte du cycle du Samsara et observer le monde depuis le sommet des arts martiaux. À quoi cela ressemblait-il ?
Zhao Jifeng et Jiang Bin le regardèrent quitter la scène du terrain de tournoi. Ils avaient récupéré en partie, mais un sentiment de peur viscérale les gagna en le voyant. Toute volonté de résistance les avait abandonnés.
Aussi peu utile que puisse se révéler une force de treize mille jins au cours d’un combat, l’image du pilier de mesure de la force qui se brise avait laissé un impact saisissant dans l’esprit de nombreuses personnes.
Était-il humain ? Qui donc avait déjà vu un pilier de mesure exploser de la sorte ? Personne n’avait jamais entendu parler d’un évènement de ce genre.
Ces deux-là s’empressèrent de se lever et de s’en aller en le voyant approcher. Cela représentait trop de pression pour eux de se tenir au même endroit qu’un être surhumain comme lui.
« Tu disposes d’un quart d’heure pour te reposer et ajuster ta condition, Lin Ming, lui précisa l’arbitre.
— Je n’ai pas dépensé d’énergie, répondit l’intéressé en secouant la tête. Je n’ai pas besoin de repos, je suis prêt à enchaîner immédiatement. »
« Repose-toi ! » commanda Ling Sen. Il était habillé d’une tunique noire ajustée près du corps, sa lourde épée noire reconnaissable entre toutes accrochée dans le dos. « Je veux te combattre au meilleur de ta forme, même si ça signifie que je perde ! »
Lin Ming se tourna vers lui en souriant.
« Très bien, dit-il. J’attends moi-même impatiemment de me battre contre toi depuis la première fois que je t’ai vu ! »
La première fois en question remontait à l’examen d’entrée de la Maison Martiale. L’apparition de Ling Sen à cette occasion avait profondément marqué Lin Ming. Son statut de premier condisciple aîné du Domaine Céleste était tout bonnement inébranlable !
Pour le Lin Ming de cette époque, Ling Sen représentait une existence hors de portée. Mais il s’était juré qu’il prendrait un jour place dans une arène pour l’affronter, et ce jour était arrivé plus vite que quiconque aurait pu l’imaginer !
