La Tour des Mondes
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Chapitre 345 : La terreur a un nom
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Yuu approche de Balad lentement en formant des vaguelettes dans la flaque qui recouvre tout le souterrain. Une fois de plus, je suis perdu. Je ne comprends pas ce qu’il se passe alors que je vois le Kelfi s’approcher de Balad.

[Écoute-moi bien. Je pensais que nous aurions plus de temps pour que je te l’explique, mais j’ai dû faire un marché avec lui. Quand tu te battais contre Marshall à l’Atlas, il était avec Guernier et je n’avais pas d’autre choix que d’en passer un avec lui. En échange de ma propre survie et de la tienne pendant quelque temps, je devais finir par le rejoindre de mon plein gré quand il viendrait me chercher. La libération de Guernier… c’était une sorte de bonus.]

« Je me doute qu’il est en train de te l’expliquer en ce moment même vu ta façon de le regarder, mais ce n’est rien de très important. Ton renard m’appartient maintenant. C’est un amusant petit animal et je compte en prendre soin. Plus que tes amis ici présents. De toute façon, ils ne sont qu’un bonus. Pour résumer simplement pourquoi j’agis d’une telle manière en restant sensible à ta personne, je n’aime pas quand quelqu’un chie sur mes platebandes, mais tu as de la chance, j’aime encore plus lier l’utile à l’agréable. »

Il pousse Kiki avec suffisamment de force pour qu’elle s’effondre complètement par terre dans l’eau rouge. Balad me regarde alors avec sérieux.

« Je sais très bien que tu n’es pas une menace pour moi. Tu n’es qu’une nuisance dont la puissance est celle d’une fourmi par rapport à la mienne. Mais…, va savoir pourquoi… Le simple fait de voir ta tronche me donne envie de te torturer. Quoi de mieux en tant que grand frère que de te piquer tes jouets pour me passer les nerfs ? Cela te donne une réelle raison de venir m’emmerder maintenant. »

Yuu s’installe à côté de Balad sur le crâne de Tark qui fixe le sol. Je peux sentir que le lien disparaît lentement, mais Yuu n’ajoute que peu de choses.

[C’était sympa tout ce voyage Nomad, mais n’essaye pas de me sauver moi ou eux, c’est impossible. Et évite de faire des bêtises et sers-toi de ton cerveau plus souvent.]

J’essaye de me raccrocher au lien alors que je peux le sentir disparaître complètement en me prouvant une fois de plus que Yuu va bien partir.

« Bien. Yadiyada, j’ai tes amis, si tu veux les revoir, viens me chercher quand tu te sentiras prêt. Évite juste de mourir contre d’autres nullos. Sinon ça voudra dire que je ne te torture pas suffisamment pour que tu progresses et je m’en voudrais d’avoir à t’envoyer des cartes postales pour parler des saloperies que je vais faire avec ta petite famille. »

Balad se met ensuite à soupirer et fait un geste dans ma direction. Korail derrière lui s’approche de moi et me soulève en utilisant deux de ses bras. J’essaye de m’agiter, mais c’est peine perdue dans mon état.

« Tu te demandes sans doute “pourquoi” je ne te tue pas simplement ? Même avec le marché que j’ai passé avec ton renard, ce n’est pas comme si j’en avais quelque chose à faire. Non… J’ai déjà tenté de te tuer à plusieurs reprises, à dire vrai… Pas directement bien sûr, mais tu penses sincèrement que tu étais le “dernier Dresseur” juste parce que c’est une classe maudite ? Il m’a suffi de quelques gardiens, de quelques dieux et de quelques esclavagistes pour donner ce statut à la classe. Pour les quelques idiots qui tentent quand même l’aventure, j’ai Marshall pour s’en occuper. Enfin, normalement. »

Korail m’agite alors qu’il se retourne en suivant un ordre silencieux de Balad. Il ramasse le chapeau de Charade et va l’offrir à Balad silencieusement en me secouant comme un sac.

« Vu la quantité d’ennui que tu déclenches sur ton chemin, il a considéré que tu serais mort assez rapidement. Une simple erreur de calcul de sa part. Ce n’est pas très grave de toute façon… mais passons. J’aime les reptiles. Tu aimes les reptiles ? »

Je reste immobile alors que Balad me fixe en caressant le chapeau. Il semble attendre une réponse, mais je ne suis pas capable d’en formuler une et encore moins de la dire. Il regarde alors autour de lui les corps qu’il y a partout dans le souterrain et retourne ensuite ses yeux vers moi.

« Tu es devenu un appât à lézard, petit frère. Le jour où tu penseras pouvoir sauver tes amis, tu viendras me voir et les petits Dragons sortiront de leur cachette et seront à tes côtés. Tout ça parce qu’ils penseront avoir une chance grâce à toi. »

Korail me gifle violemment sans même me regarder et cela fait glousser Balad de voir que mon nez saigne. Il jette le chapeau de Charade par terre d’un mouvement de la main en reprenant la parole.

« Désolé, j’avais peur que tu sois perdu dans tes pensées et que tu ne m’écoutes plus. Je m’ennuie à te faire la conversation donc autant m’assurer que tu m’écoutes bien. Quoi qu’il en soit, il est sans doute temps de se dire au revoir. Je suis venu prendre les Guides pour compléter le tableau. Éventuellement, je comptais te ridiculiser en combat, mais ce n’est apparemment pas nécessaire vu ton état. »

Balad se lève en époussetant son pantalon et frappe rapidement dans ses mains. À cause de ce simple geste, Korail me jette contre un des murs-miroirs qui se brise sous la force du choc. J’arrive à peine à me retourner pour voir Korail et Tark se saisir des trois Guides. Pete proteste et le troisième Guide s’agite dans tous les sens, mais cela semble ne servir à rien devant les robots inexpressifs qui étaient mes compagnons.

« Oh ? Je crois que celle-ci est morte… »

Balad qui attrape le visage de Blue d’une main se met à sourire en me regardant.

« Je devrai peut-être laisser son cadavre ici et te laisser tenter de la sauver ou faire ton deuil… ou pas ! HAHAHA ! Je vais juste lui faire un cercueil en verre et l’exposer sur un mur pour mémoriser ce moment. Comme titre, je mettrai “La Guide de merde”, qu’est-ce que tu en penses ? »

En se tournant dans ma direction, il attrape le bas du visage sale de Blue et commence à agiter la mâchoire pour la faire parler comme une marionnette.

« Oh ! Ne me laisse pas ici Balad ! Ce gros nul de Nomad est incapable de me défendre ! Je suis morte à cause de lui ! Je serai bien mieux avec toi ! »

« Ne t’en fais pas chère petite Guide, je vais prendre bieeeen soin de toi. »

« Oh ! Tu es tellement généreux ! Et beau ! Et intelligent ! Tu es sans aucun doute le meilleur Dresseur ! »

« Allons, n’oublie pas ton cher ami Nomad ! »

« Quoi ?! Ce raté ? Cette pauvre merde qui m’a laissé mourir ?! Oh non ! Balad, je t’aime ! Tu es le plus grand de tous ! »

« Allons, allons. Calme tes ardeurs le laideron, Nomad risque d’être jaloux ! »

Il se met ensuite à rire et à faire rire le corps de Blue avec lui alors que je cherche à me redresser pour l’affronter. Je n’ai aucune chance de le battre, mais je ne peux pas le laisser faire. Tout ce qu’il fait me révulse au plus haut point. Tout ce qu’il est, je le déteste.

Pourtant et malgré ma rage, je tremble de terreur. Une peur froide me recouvre complètement comme si mon esprit allait être écrasé par la simple présence de Balad. Je me bats contre la sensation, mais je n’y arrive pas. Mon corps refuse de bouger comme je lui demande. Je blesse mes mains sur les morceaux de miroir au sol, mais impossible de me lever. Impossible de l’en empêcher. Impossible d’agir et de le faire taire. Impossible de libérer mes amis. Impossible…

Après tout ce que j’ai subi, après tout ce que j’ai fait, je n’aurais pas réussi à sauver Blue, Tark, Kiki, Korail… et Yuu. Un membre de ma famille disparaît devant mes yeux et je ne peux rien faire à part regarder.

Balad se dirige vers la sortie tranquillement et je peux à peine voir le visage désespéré de Pete qui attend que je le sauve, perché sur l’épaule de Korail. Je peux voir le corps sans vie de Blue dans les bras de Tark. Je peux voir mes amis qui partent devant moi alors que je ne peux rien faire.

Je peux voir Yuu qui se retourne quelques instants pour me regarder avant de disparaître dans l’embrasure de la porte. Kiki, Tark, Korail…

Ils viennent d’être pris par Balad et je ne peux rien faire pour eux. C’est de ma faute. Tout ça est de ma faute.

Il ne reste que le silence dans le sous-sol et les corps sans vie des membres d’Arcana. Je peux vaguement sentir Micha se blottir dans mon cou pour me réconforter et Juliette bouger lentement sur mon bras. Je peux sentir le verre qui m’entaille les mains alors que je cherche à me redresser.

Et ensuite, Balad revient en tapant à la porte qu’il vient de prendre pour sortir.

« J’avais oublié de te dire, petit frère. Je n’ai pas oublié ta déesse des Assassins, ce sera la prochaine. Continue à te faire des amis en tout cas, c’est toujours mieux pour toi de me proposer plus de cadeaux à chaque réunion de famille… disons l’année prochaine pour la suivante ? Fais attention à ne pas mourir jusque-là. »

En faisant claquer sa langue en me faisant un clin d’œil, Balad disparaît à nouveau.

Alors que son aura disparaît lentement, je peux sentir la colère qui continue de monter en moi. Elle fait assez vite place à de la rage que mon corps paralysé m’empêche d’exprimer. J’essaye de serrer le poing pour frapper le sol, mais mon corps me le refuse.

Je suis bel et bien faible, mais je pensais que ce serait suffisant pour que ce genre de situation n’arrive pas. J’ai pourtant à peine survécu à Charade. Je n’ai même pas réussi à bouger pour arrêter Balad… Je n’ai pas trouvé les mots pour empêcher Yuu de partir.

… Le pire dans tout cela. La chose que je n’arrive pas à accepter et qui me ronge maintenant que je ne peux plus me voiler la face. Il me terrifie complètement.

J’ai peur… J’ai la sensation d’être un enfant terrifié par un cauchemar alors qu’il vient de se réveiller. Le monstre a disparu et pourtant je le sens encore dans ma tête.

Je peux sentir des larmes couler sur mes joues alors que je claque des dents en tremblant. J’arrive maladroitement à frapper le sol avec la main. Elle ricoche aussitôt sans aucune force dans les fragments de miroir qui montre mon visage déformé par la peur.

Je me laisse tomber sur le côté pour ne plus avoir à affronter ce reflet d’un visage déformé par l’horreur. Peut-être qu’un peu de sommeil m’aidera. Peut-être que quand je pourrai enfin bouger je ne me sentirai plus aussi mal. Peut-être que tout cela n’est qu’un cauchemar irréel qui disparaîtra bientôt ?

Une fois de plus… par ma faute…

Pourquoi les gens autour de moi finissent toujours par disparaître ?

Pourquoi est-ce que je suis si incapable au moment qui compte le plus ?

Balad n’est qu’un monstre dont je suis le jouet. Un objet fragile qui n’arrivera pas à rivaliser contre lui. J’ai senti ma propre faiblesse et j’aimerais la rejeter comme un mensonge, mais la différence de force est trop grande pour que j’en sois capable. Je l’ai senti à travers son aura et à travers la peur que j’ai ressentie.

Encore une fois dans ma vie, je viens de tout perdre.

Balad…

En quelques instants, j’ai compris que, face à lui, mon assurance était une erreur. Ce type est un cauchemar qui existe vraiment.

Mon pire cauchemar.

Alors que je tremble, je me recroqueville à moitié nue au sol dans le mélange de sang, d’eau et de verre, impuissant, terrifié et détruit.



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