La Tour des Mondes
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Chapitre 340 : La malchance
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« Maliel la malchanceuse ». Un titre qui l’a toujours poursuivie comme son ombre. Sur Terre et maintenant dans la Tour.

Toute sa vie, elle a dû forcer sa chance. Elle s’est battue contre les probabilités, mais quoi qu’il se passe, elle n’a jamais eu de chance. Personne sur qui compter. Personne pour l’aider. Personne pour l’accepter. Seule et capable de ne compter que sur elle-même. Tout ce temps qu’elle a passé à voler pour survivre. Des miettes pour vivre un jour de plus dans un pays en crise où les enfants étaient abandonnés dans les rues comme des chiens et obligés de fouiller les poubelles pour survivre.

Et puis est apparue la tour. Pour elle, ce n’était pas un rêve qui se réalise, juste le déclencheur qui a permis au monde de devenir plus fou encore. Une lente agonie où la famine et la guerre se sont ajoutées à la pauvreté. Par chance, elle a survécu pour en voir tant d’autres mourir broyés dans une réalité sordide. Combien autour qu’elle ont fini par mourir ? Combien de plus avant que sa présence ne soit considérée comme un mauvais présage ? Rejoindre un groupe, le voir disparaître, passer à un autre groupe et recommencer, encore et encore, dans un cycle de malheur. Famille d’accueil, gamins des rues, simple passant… Une balle perdue, une bagarre un peu trop violente, une voiture lancée à vive allure, une maladie trop virulente et parfois même un obus ou une bombe.

Pour chaque nouveau compagnon, le glas a toujours fini par sonner peu après son arrivée. « Maliel la malchance » devait survivre seule dans un bout de monde en guerre. Beaucoup voyaient la présence de cette enfant comme amusante avant de la voir comme une malédiction à mesure que les hommes finissaient par mourir. Maliel la malchance devint une sorte de chat noir, un objet de haine et de curiosité malsaine pour les moins croyants des rumeurs.

Voleuse, profiteuse, mendiante, arnaqueuse, combien de rôles de ce genre a-t-elle endossés pour survivre un jour de plus ? Un instant de chance se transformait en des semaines de malédictions, comme si le malheur la suivait partout en se répandant comme une maladie.

Forger sa chance et la prendre n’était qu’une douce utopie dans son cas, mais elle s’est raccrochée à cette idée pour vivre un jour de plus. Elle n’a jamais abandonné, mais à chaque fois le résultat était le même. Fuir pour vivre un jour de plus. Trouver une combine, une astuce. Tromper son prochain, même quand cela le condamne à la prison ou la mort.

Tous ces efforts sur terre pour finir par céder à l’appel de la tour après l’arnaque de trop. Une nouvelle chance de repartir à zéro qui n’était qu’un moyen de fuir un temps sa malchance.

Elle a passé vingt tests pour prouver à la tour que la personne en face d’elle ne comptait pas reculer. La tour n’était pas convaincue, mais elle a fini par céder en laissant entrer cette personne dont la malchance ne pouvait être qu’un mauvais signe pour ceux qui croiseraient sa route.

Quand la lumière du soleil et le vent de l’océan ont touché son visage, elle s’est pratiquement effondrée. En tremblant, elle a espéré que quitter la terre soit la meilleure décision qu’elle ait pu prendre pour survivre… et pourquoi pas « vivre » ?

C’était une chance de commencer une nouvelle vie en espérant que les démons qui la poursuivaient sur Terre et rendaient sa vie horrible ne l’aient pas suivie.

Pendant un temps, c’est ce qu’il s’est passé.

Ensuite, elle a douté. Par peur, elle a décidé de rejoindre une guilde pour être certaine de ne pas finir abandonnée, ou seule, ou en danger. De loin, elle a écouté les autres Voleurs parler d’Arcana et de cette simple règle qui a fini par l’obséder comme une sorte de charme qui la protégerait. Une « famille ». Quelque chose qui la protégerait, qui donnerait de la stabilité à quelqu’un que le malheur ne fait que suivre.

Bien sûr, ils n’étaient pas parfaits en profitant des erreurs des autres pour faire de l’argent, mais c’était déjà son quotidien sur Terre.

Pour rejoindre Arcana, Maliel avait besoin d’argent et c’est à ce moment qu’elle a rencontré Nomad et qu’elle lui a appris à voler. Une vague connaissance qui était capable de survivre à sa propre bêtise. Une sorte de vague reflet d’elle-même.

Ensuite, il est devenu un nid à problèmes quand les chasseurs de prime ont commencé à s’intéresser à lui. Pour une fois, ce n’était pas elle la plus malchanceuse et elle en était heureuse.

Un simple outil amusant, faible et facile à manipuler. Pas besoin de penser à le préserver ou s’inquiéter pour lui. S’il meurt, il ne sera pas le premier qu’elle connaît. Après tout, il y a des centaines de mondes et des milliards de personnes à rencontrer, pourquoi s’en faire pour lui particulièrement ?

Quand elle a décidé d’aller sur Galatia pour faire plus d’argent et qu’elle l’a retrouvé, cet outil lui a sauvé la vie en se montrant plus fort qu’elle ne le pensait, à sa grande surprise, mais elle n’a pas eu le temps de changer d’idée. Comme pour la rappeler à la réalité… elle s’est réveillée soignée de ses blessures chez Arcana.

Elle a repris son plan. Elle a rejoint cette guilde pour obtenir une sécurité. Un filet contre ses démons. Peu importe qu’ils pourchassent Nomad. Peu importe qu’ils essayent de le tuer. Elle pouvait finalement avoir la protection d’un groupe de plusieurs centaines de grimpeurs et d’esclaves. Qu’est-ce qu’un Dresseur peut faire en comparaison ?… Impossible que ce type soit même plus fort qu’elle et peu importe les preuves que c’est bien le cas. Ce n’était qu’un raté avec une classe nulle qui n’avait aucune chance de la battre… alors pourquoi est-ce qu’il a réussi à battre le Mange-Mots supérieur ? Comment est-ce qu’il a survécu à tant de pièges, d’embuscades et d’attaques depuis ? Comment a-t-il fait pour gagner seul ce maudit tournoi ?! Et pourquoi son amour-propre, à elle, l’a aveuglé sur ce qu’il était ?

Elle a même fini par éprouver de la haine pour lui. Face à la malchance, ce type continue d’avancer comme si de rien n’était et personne autour de lui n’en souffre plus que ça. Elle voulait le voir s’effondrer et lui demander de l’aide en se montrant inférieur et faible. Il ne l’a pas fait. À cause de lui, c’est elle qui se sent inférieure. Toutes ses années de souffrance à pleurer seule en silence… Nomad n’a jamais ressenti tout ça. Il a juste continué à avancer. Chaque pas de plus est une preuve qu’elle est faible à côté de lui. Maintenant, il détruit ceux qu’elle voulait rejoindre pour se protéger en devenant un monstre.

Maliel se retient de hurler alors que ses yeux brillent.

Les démons de son passé ne l’ont jamais quittée au final. Ils attendaient juste en lui faisant croire que c’était possible pour elle d’obtenir ce qu’elle voulait. Une fois de plus, elle n’a pas forgé sa chance, mais sa malchance. Tout ce qu’elle a fait jusqu’à présent n’a servi à rien, encore. Tous ses efforts pour rejoindre Arcana n’ont fait que la condamner une fois de plus à fuir pour survivre. Nomad a même fini par la considérer comme une ennemie alors qu’elle s’était résolue à gagner à tout prix pour avoir ce qu’elle souhaite…

Nomad… dans un autre monde ou une autre vie, peut-être qu’elle a fait le choix de rester avec lui et pas de rejoindre Arcana. Peut-être qu’une version d’elle a compris que cet idiot avait trop de potentiel pour prendre le risque d’en faire un ennemi en manquant de le tuer, lui et sa souris.

Elle n’a plus personne, encore. Pourtant, il n’est peut-être pas trop tard pour disparaître en fuyant dans la tour. Après tout, elle a un monde d’avance sur lui maintenant. Même s’il cherche à la tuer et qu’il essaye de la poursuivre, il ne lui reste qu’à aller là où il ne peut pas la rejoindre. Prendre le contrôle de ce qu’il reste d’Arcana est même possible. Après tout, ça ne fait aucun doute que Charade va mourir tué par Nomad. Il est peut-être temps pour elle de profiter de la situation et de transformer une malchance en opportunité.

Elle repense à la façon dont Yuu l’a regardée et elle frisonne. Il suffit qu’elle repense à la façon dont Nomad l’a observée quand il a compris qu’elle avait capturé sa souris ou quand il a commencé à se « transformer » pour comprendre que Charade est foutu.

Il ne lui reste donc qu’à courir. Fuir le monstre qu’elle a aidé à créer. Un monstre qui l’a laissée vivre…

Elle n’a aucun doute que Micha ou Yuu aurait pu la tuer s’ils l’avaient voulu. Même avec son boost de vitesse, elle n’aurait pu survivre que quelques minutes en combat en imaginant qu’elle esquive bien toutes leurs attaques.

D’après Maliel, c’est probablement un semblant de sentiment amical qui l’a sauvée. Malgré tout ce qu’elle a fait, Nomad semble avoir eu suffisamment de pitié pour la laisser partir sans même l’attaquer une fois.

« Hey. »

Maliel se fige en entendant une voix au-dessus d’elle.

« Il semble que mon petit frère t’aime bien. J’ai un boulot pour toi. »

La personne au-dessus d’elle semble flotter dans les airs. En regardant son visage, elle n’a aucun doute que c’est à nouveau un de ses démons de la malchance qui décide de se moquer d’elle une fois de plus, car il n’y a absolument rien de bon à avoir un tel type sourire en la regardant.

« Moi c’est Balad, et tu es mon deuxième meilleur choix pour faire chier mon petit frère. Le prends pas mal bien sûr, je fais juste ça pour passer le temps. »

L’homme appelé Balad regarde Maliel comme un vulgaire pion avec lequel jouer. Elle s’en est rendue compte, car elle connaît ce regard. Malgré sa peur devant l’inconnu, elle n’arrive pas à fuir, car elle sait qu’elle n’a pas le choix. Le battre semble aussi impossible que lui dire non. Il suffit qu’elle sente son aura pour le savoir. Un rocher fait face à une montagne dans cette ruelle. Ses pieds sont figés dans le sol et aucun muscle de son corps ne semble vouloir réagir à ses appels pour fuir cet endroit.

Cela ne fait que confirmer ses doutes. Elle va passer sa vie à tenter de survivre à sa malchance. Personne ne la laissera tranquille. Personne ne lui permettra d’obtenir cet endroit stable en sécurité où elle ne risque pas d’apporter sa malchance à quelqu’un. Elle va continuer à souffrir encore et encore, à jamais seule.

Peut-être que si elle était restée là-bas et qu’elle s’était excusée ce ne serait pas arrivé. Avec un peu de chance, il lui aurait pardonné et elle n’aurait pas fini devant ce type qui la menace d’un sourire et qui la force à rester immobile. Peut-être qu’elle aurait pu voyager avec lui et faire des casses stupides pour devenir riche ou rire de ses bêtises.

Mais peut-être que c’est une nouvelle façon pour elle de faire pénitence pour avoir tenté de le tuer…

Un nouveau démon de plus qui se jette sur elle pour l’avaler et la recracher quand elle sera inutile ou trop dangereuse. Un enfer rien que pour elle depuis sa naissance et qui continue à la poursuivre.

Alors qu’il la dévisage en souriant, elle se sent obligée de s’agenouiller. Une force étrange s’impose à elle et l’oblige à fixer le sol alors que l’inconnu lévite jusqu’à elle.

Maliel ne peut s’empêcher de penser une chose alors qu’elle fixe le sol.

Elle n’a probablement aucun talent pour prendre des décisions.

Elle cherche à se relever et résister à l’inconnu, mais cela semble impossible. Avec sa malchance qui vient de faire apparaître cet inconnu devant elle, Maliel ne prendra peut-être plus jamais de décision de sa vie.



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