La Tour des Mondes
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Chapitre 321 : Champions
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Je perds connaissance. Du moins, je m’enfonce dans le néant et mes sens disparaissent graduellement alors que je commence à voyager à travers des formes et des couleurs qui n’ont aucune réelle signification.

La dernière fois que j’ai ressenti cela, j’ai rencontré Angela. Cette fois-ci, la sensation est différente et mon esprit voyage probablement dans une autre dimension, même si je ne sais pas laquelle… En baissant les yeux, je peux voir que je porte à présent l’armure que j’ai pourtant confiée à Eruc. C’est probablement mon esprit qui me joue un tour, mais vu que c’est mon esprit qui se déplace et pas mon corps physique, je vais devoir accepter cette situation.

Le voyage s’arrête finalement alors que je tombe en direction du sol vers lequel je fonçais jusqu’à présent. Même si c’est dur à expliquer… c’est comme si au lieu de foncer dans une direction, je suis maintenant en train de tomber à cause de la gravité que je ne sentais pas jusqu’à présent.

Je me prépare au choc, mais celui-ci n’arrive pas et mes pieds finissent par atteindre délicatement le sol lisse et froid de couleur gris sombre. Je commence à regarder les alentours en me demandant ce que je fais là.

Comme pour le « domaine » d’Angela, il y a peu de chose ici. Je vois juste une tour à quelques kilomètres de moi qui est similaire à la tour centrale, mais le reste est baigné par l’absence de quoi que ce soit. Tout est gris ou sombre, mais ça ne m’empêche pas de voir d’assez loin.

Une voix retentit alors derrière moi.

« Génial. Je suis tombé sur le Champion des Dresseurs. Tu parles d’un champion. Quelle connerie ! »

En me tournant, je peux voir Dolan qui se frotte le visage en grommelant. Son apparence n’a pas changé, mais son irritation semble avoir dépassé celle que j’ai vue avant de me retrouver paralysé et que je fasse ce petit voyage de quelques minutes.

« Vu ta surprise, tu ne sais pas ce qu’il se passe, pas vrai ? Ne me fais pas perdre mon temps et abrégeons les explications. Bienvenue dans la dimension, la sphère ou le plan d’existence de la tour des mondes. Prends le mot que tu apprécies le plus, ça ne change rien. »

Alors qu’il dit cela, je me rends compte que la copie de la tour centrale qui était pourtant au loin semble se rapprocher graduellement de nous.

« Quand deux champions se rencontrent, ils finissent dans ce trou pourri, mais je ne vois pas pourquoi ce serait à moi de faire l’explication. Plus vite la tour. »

La tour continue d’approcher de plus en plus rapidement, mais elle ne semble pas se déplacer… la distance semble juste diminuer, comme une sorte de mise au point pour mes yeux. Sans attendre, Dolan se met à marcher en direction de l’édifice alors qu’elle se fige à proximité de nous. De près, elle semble bien plus petite que l’original.

— Cet endroit n’est qu’un cimetière alors abrégeons. Tu dois être le troisième ou quatrième avec qui je finis ici. Si j’avais le choix, je retirerais cette règle absurde.

— Pourquoi est-ce qu’on est là ?

— Ne fais pas le touriste et avance.

Il ouvre en grand la double porte en haut des quelques marches et entre dans la tour. Son comportement me fatigue, mais tant que je ne sais pas ce qu’il se passe, je vais faire avec. J’entre avec lui dans ce qui semble être un long couloir qui a l’air de mener au cœur de la tour. Il marche rapidement et je me contente de suivre le rythme alors qu’il prend la parole.

— La tour a sa propre façon de pousser les champions à s’entendre. Tout ça me fait bien rire puisque c’est encore une lubie de cette saleté.

— Pourquoi as-tu parlé de cimetière ?

— Le vouvoiement n’est pas que pour les chiens, Dresseur. Évite de croire que je suis ton ami, collègue ou camarade.

Je finis par soupirer et m’arrêter. Je m’appuie contre le mur et je décide d’attendre. Après quelques secondes, il se rend compte qu’il n’y a plus que l’écho de ses pas et plus des miens dans le couloir, et il se retourne en m’insultant. Cela ne me dérange absolument pas.

Il n’a pas envie d’être là, mais il ne semble pas avoir le choix. Il ne m’a pas attaqué tout de suite, donc je ne suis pas en danger pour l’instant. Au final, j’ai l’impression qu’il est plus coincé ici avec moi que l’inverse. Vu la manière dont il vient de se figer après avoir croisé mon regard, je ne pense pas être dans l’erreur. Il a clairement envie de me frapper, mais pas de me tuer. S’il arrive à dépasser ça, j’aurai peut-être des réponses.

— Très bien gamin. Pose les questions simples que tu as en tête et je ferai en sorte de t’offrir les réponses simples que tu mérites. Remets-toi juste en marche.

— C’est quoi cet endroit ?

— Un mémorial des Champions du passé, un panthéon qui recueil les témoignages des autres Champions. Question suivante.

— Pourquoi sommes-nous là ?

— Mauvaise blague de la tour.

— Ce qui veut dire ?

— Tu vas mettre ton nom sur la stèle de ta classe et on pourra sortir d’ici, d’accord ?

— Pourquoi est-ce que tu es là ? Et pourquoi ce n’est pas arrivé quand je suis devenu champion ?

— Comme je l’ai dit, mauvaise blague de la tour. Le but est probablement de faire en sorte que les champions discutent entre eux dans un espace où ils ne peuvent pas s’entre-tuer. Son objectif reste de nous faire grimper la tour. C’est probablement plus simple d’après elle si les champions font ça ensemble.

— La tour fait ça consciemment ?

— … Elle a une conscience, mais c’est une éternelle optimiste. On dirait un gosse qui n’a pas conscience des saloperies auxquelles elle laisse la porte ouverte.

Pendant que je lui pose mes questions et qu’il répond sur un ton de plus en plus insultant, nous approchons graduellement du centre de la tour. Les murs, qui n’étaient que des parois en pierre lisse, commencent graduellement à s’orner de gravures et de motifs variés. La lumière qui venait de torches posées à de longs intervalles réguliers vient à présent des lanternes dont l’efficacité retire de plus en plus l’obscurité.

— Le temps ne veut rien dire ici. On pourrait passer plusieurs mois à l’intérieur que même pas une seconde ne se sera écoulée dehors. Ça peut te sembler amusant, mais n’y prends pas goût ou tu vas finir comme l’autre –

— DOLAN !!!

Avant qu’il n’ait fini sa phrase, une voix retentit de l’intérieur du « cœur » de la tour. C’est en fait un grand hall où siège une disque de pierre qui ressemble à une table… L’idée me fait penser aux chevaliers de la Table ronde et je ne suis probablement pas loin de la vérité si la tour pense réellement comme un enfant. Forcer des adultes à discuter au lieu de se battre est trop enfantin pour sembler rationnel pour les empêcher de s’entre-tuer ou les inciter à s’aider.

Alors que nous entrons dans le hall en quittant le couloir, Dolan se met à jurer plusieurs fois pour insulter l’endroit. Un homme qui semble avoir la cinquantaine est installé à la table et sourit en direction du champion des Couturiers.

«  Je te présente le champion des Archivistes, Milo. Il aime beaucoup cet endroit. Plus que ce qu’il ne devrait. À ce sujet, c’est lui qui va s’occuper de t’expliquer le reste puisqu’il est là. »

Sans même se tourner dans ma direction pour confirmer quelque chose ou même dénier répondre au geste de la main de Milo, Dolan s’éloigne.

« Non Milo, je ne veux pas savoir l’heure à laquelle tu es entré aujourd’hui. Ne me dis rien. J’aurai déjà touché ma stèle quand tu toucheras la tienne, Dresseur. Fais vite ou quand je sors de là, je t’assure que je te coudrai tous les orifices de ton corps avant que tu ne quittes mon atelier. »

Je me fige en étant légèrement révulsé par sa menace. Je le regarde s’éloigner dans un couloir alors que Milo me regarde avec un léger sourire. À la façon dont ses yeux brillent par-dessus ses lunettes rondes teintées en noir, j’ai l’impression que j’illumine sa journée et je ne sais pas si je dois bien le prendre. Il ressemble typiquement à une sorte de Mage à cause de ses vêtements. Drapés dans des vêtements amples et bleus, il semble prêt à mener une cérémonie ou quelque chose du genre et ça me rappelle légèrement les vêtements de Cyrus. Il frotte sa barbichette en me regardant et se lève de son siège pour me saluer en baissant la tête.

— Bienvenu à toi, jeune champion. C’est un honneur pour moi de te rencontrer.

— Enchanté… Dolan n’a pas été très clair sur l’intérêt de ce lieu. Est-ce qu’il serait possible d’avoir plus d’explications ?

L’homme se lèche les lèvres en entendant ma question et cela a quelque chose de malsain. J’aimerais vraiment lui demander si tous les champions sont des excentriques, mais je vais m’abstenir.

— Bien entendu. Laisse-moi te montrer et ne fais pas attention à elle.

— À qui ?

Je suis le regard de Milo qui semble s’arrêter derrière moi. En me tournant, je me rends compte qu’une femme est pratiquement en train de me respirer dans le cou et je fais quelques pas pour m’écarter. Elle n’a pas d’arme ou quoi que ce soit dans les mains, mais ses yeux sont bien trop exorbités alors qu’elle me regarde pour que j’ai la sensation qu’elle soit amicale.

Ses vêtements sont négligés, de même que ses cheveux châtains en bataille et le reste de son apparence. Elle ne porte qu’un pagne qui devait être blanc il y a une éternité, mais c’est sa façon de me regarder qui m’inquiète.

— Elle n’est pas méchante. Je prends soin d’elle depuis que je l’ai rencontrée. Cela me permet de venir à ma guise en ce lieu. Je te présente donc Narissa, la championne des Intoxiqués. Une classe bien… particulière de la tour des Druides qui… je pense que je n’ai pas besoin de te faire un tableau.

— … Ah.

— Ne sois pas grossier. Cet endroit lui permet de rester indéfiniment dans l’état qu’elle était à son départ. Disons que comme moi, elle profite de l’éternité pour faire des recherches sur des substances psychotropes. Comme je l’ai dit, ne fais pas attention à elle.

Milo me fait signe d’approcher et continue de sourire en m’observant. Narissa semble me suivre de près et il y a clairement quelque chose de malsain dans cette situation. J’ai bien l’impression que les champions sont des gens étranges.

La question est de savoir pourquoi je suis là… et est-ce que moi aussi je suis bizarre ?



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