La Tour des Mondes
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Chapitre 319 : impeccable ou implacable
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«  Hey, le plouc. Où tu vas comme ça ? »

À l’entrée de la boutique, le vigile semble mécontent. Je « peux » le comprendre. Je n’ai clairement pas l’apparat d’un client habituel. J’ai toujours mes vêtements détendus et je n’ai pas pris la peine de mettre quelque chose me protégeant ou me cachant le visage. Sous sa forme de veste actuelle, Persée n’aide pas non plus, même s’il est confortable.

La boutique devant nous s’étale sur plusieurs étages et vu la taille de l’immeuble, j’ai bien l’impression qu’il y a aussi un atelier. Le problème reste que je suis clairement habillé en plouc. Le vigile n’a pas tort. Du coin de l’œil, je peux voir des clients qui semblent prêts à faire une soirée mondaine et en comparaison, j’ai l’air d’un mendiant.

[Le jour où je vais enfin rencontrer la noblesse du pied de la tour est enfin arrivé ! J’avais presque oublié l’odeur du luxe depuis que nous avons quitté la famille Gorge dans Lishnul.]

… Tu exagères sans doute un peu.

[Tu n’es juste pas au courant que cette noblesse existe. Avoue !]

Éclaire-moi.

[Tu as devant toi une boutique assurément utilisée par les guildes de marchand les plus riches du pied de la tour. Donc de la noblesse.]

Ils ne sont pas censés grimper la tour comme tout le monde… ?

[Mon très cher Nomad. Depuis mes vacances dans la bibliothèque de la tour des Mages, j’en sais plus que toi sur le pied de la tour. Fais-moi confiance.]

Le vigile devant moi semble attendre une réponse à sa question… Moi, je me demande combien il est payé pour son travail. Je pointe le doigt en direction de l’intérieur du magasin, mais il se contente de me faire non de la tête. Je me tourne vers Gladis, mais elle se contente de sourire. Si elle n’est pas inquiète, il y a probablement une méthode à ma portée pour entrer.

Je sors quelques pièces d’or de mon inventaire et je commence à jouer avec.

— Je suis juste un client et j’ai besoin de vêtements.

— Quelques pièces d’or ne suffiront pas. Je n’aime pas ton regard. Tu as l’air d’attirer les embrouilles. Tu ferais mieux de partir avec tes amis.

… Pourquoi est-ce que passer des portes est aussi difficile dans la tour ? C’est juste un magasin, ça ne devrait pas être compliqué… Malheureusement, la violence n’est pas une option. Je n’ai pas envie d’avoir des soucis avec les gardes et me faire enfermer parce que je suis entré dans une propriété privée. Essayons quelque chose de plus diplomatique.

Je me concentre quelques instants sur mon aura et quelques dizaines de rats sortent de ruelles et de bouche d’égout pour se placer derrière moi en rang comme une petite armée.

« Je peux demander à mes petits amis d’entrer dans le magasin et semer le désordre ou je peux entrer moi-même, faire comme s’il ne s’était rien produit et faire des achats. »

Le vigile passe les yeux sur mes nouvelles connaissances puis sur moi en grimaçant. Un groupe de gens passant à proximité des portes du magasin commence à crier de frayeur en voyant les rats, mais je les ignore. Le vigile n’a pas ce luxe.

« Très bien. Fais disparaître les rats et tu peux entrer. Pas d’embrouilles là-dedans. »

Il aurait mieux fait de prendre les pièces. Les rats se dispersent alors que j’entre avec Gladis et Blue. Cette dernière se permet même de tirer la langue au vigile qui continue de grimacer.

Les quelques riches entrant et sortant du magasin s’écartent en me voyant, ce qui me donne clairement l’impression que je ne devrais pas être là. Au moins, ils n’essayent pas de me tuer.

Je suis juste là pour voir Tolstoï et je laisse Gladis me guider dans le magasin, mais cela me laisse le temps de regarder ce qu’il y a en rayon. La plupart sont des vêtements qui semblent venir d’un magasin luxueux de la Terre. Sac en peau de vouivre, chaussures en cristal, chemise en feuilles d’or, fourrure diverse et variée ou encore robe dont la texture reptilienne change de couleur régulièrement… C’est assez dur de faire le tour, mais la plupart des articles ne sont pas faits pour le combat. Il n’y a que quelques manteaux en cuir qui semblent avoir des utilités pour le combat, mais ça n’a pas l’air d’être la spécialité du magasin. Je caresse rapidement Persée en regardant les articles. Je me demande si dans le lot il y a des vêtements en sanguin, mais je ne détecte rien avec mon aura.

Gladis finit par passer une porte et nous arrivons dans un grand atelier. Une cinquantaine de personnes s’activent avec des tissus dans les mains, autour de patrons, de croquis ou de vêtements.

— Est-ce que ce Tolstoï sera un problème ?

— N’essaye pas de lui parler et montre-lui juste ton tissu vivant. Cela devrait suffire à attirer son attention. Ce n’est pas quelqu’un de méchant, mais il a tendance à se mettre en colère ou se désintéresser très facilement.

En disant cela, elle se dirige vers la plus petite table dans un coin de l’atelier qui ressemble à un îlot à ne pas approcher.

Installé à la table se trouve un homme ayant la quarantaine et dont l’apparence est bien plus discrète que celle des autres Couturiers qui semblent tous s’habiller avec des vêtements tout aussi extravagants que ceux dans le magasin. Tolstoï semble concentré sur son travail qu’il fixe avec attention derrière des lunettes rondes. Sa bouche semble figée dans une éternelle grimace de mécontentement alors que ses mains passent sur le tissu dont il coud la fabrique sur la table.

À aucun moment, il ne lève les yeux pour regarder Gladis accoudée à sa table ou encore vers moi ou Blue qui l’observons. C’est difficile de le voir comme le meilleur couturier du pied de la tour. Avec un peu d’embonpoint et à sa façon de se tenir recroquevillé et le dos courbé, il a plutôt l’air de ne pas avoir sa place ici comparé aux autres. Les vêtements qu’ils portent sont très ordinaires d’ailleurs.

« Tolstoï, je suis venu pour vos conseils. Ce jeune homme a du tissu vivant en sa possession et j’aimerais avoir des informations sur cette matière. Je demande humblement votre expertise. »

Tolstoï continue de coudre et semble ignorer Gladis. Elle me fait ensuite signe d’approcher et me dit de lui montrer mon tissu vivant. En utilisant le lien pour dire à Persée de se laisser faire et de ne pas attaquer, je le retire en le posant sur la table sous sa forme de veste. Tolstoï continue de travailler, mais finit par se figer comme s’il était en train de réfléchir.

« Trop volatile et dangereux. Jette ça. »

Il reprend ensuite sa couture et m’ignore complètement. J’ai au moins la confirmation qu’il a déjà travaillé sur du sanguin. Maintenant, je dois juste attirer son attention.

« Je suis Dresseur. Cette veste s’appelle Persée et m’écoute. »

Gladis acquiesce rapidement à ma remarque et ajoute ensuite un commentaire.

— Il y a de nouvelles possibilités grâce à son statut de Dresseur. Quel que soit le problème, le tissu est réceptif grâce à lui. C’est probablement le seul dans son genre.

— Très bien. Combien pour le tissu ?

Avant que je ne dise que Persée n’est pas à vendre, Gladis intervient à nouveau en me faisant un geste. Tolstoï lève juste les yeux pour regarder la veste, mais il semble se retenir de la toucher. Il a sans doute de mauvais souvenirs concernant le tissu vivant.

— Il n’est pas à vendre, mais il est à coudre avec vos conseils, Maître Tolstoï. Qu’en dites-vous ?

— Je ne travaille plus avec du tissu vivant depuis l’incident. Ce tissu porte malheur. Qu’il soit dressé ou non ne change rien s’il n’en fait qu’à sa tête.

Je n’ai pas demandé à ce qu’il soit cousu…

[C’est malheureusement la suite logique des événements. Tu t’attendais à ce qu’il boive le thé avec toi en te parlant du sanguin ?]

Gladis tend la main vers Persée pour prouver qu’il n’est pas dangereux et aussitôt Tolstoï plaque sa main sur la veste en la regardant droit dans les yeux.

En même temps qu’il défie Gladis du regard, il injecte du mana dans Persée qui prend la forme d’une large bande comme on en voit tout autour. À travers le lien, je peux sentir qu’il est implacable et que la quantité de mana n’a rien à voir avec celle que j’ai. Persée est obligé de lui obéir. Il n’y a même pas de doute sur son talent de Couturier vu la façon dont il attrape le tissu pour le jauger en détail.

— Un tissu bien assez prompt à la faim. Dompté, mais perdu dans un monde nouveau. Il est blessé.

— C’est marqué dans le tissu ?

À cause de ma remarque, Tolstoï tourne le regard vers moi en me donnant l’impression qu’il va me tuer si je parle à nouveau. Il y a suffisamment de colère dans son regard pour que je n’ai aucun doute.

« Simple élucubration sur le sanguin, de plus il sent la chair humaine et le sang. Le feu a touché certaines parties du tissu. Le sanguin n’en a probablement pas conscience lui-même. Ne parlons pas de sa sensibilité ignorée. Un mauvais Dresseur si Dresseur son maître est réellement. »

Vu le ton cinglant de sa voix, je risque de ne pas apprécier ce qu’il va me dire, mais je suis prêt à l’accepter. Qu’il me traite de mauvais Dresseur ne me dérange pas dans cette situation. Je ne sais rien sur Persée et je suis là pour en apprendre plus. Espérons juste qu’il ne fasse pas que m’insulter ou j’irai voir quelqu’un d’autre. Enfin… si je trouve quelqu’un d’autre…



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