La Tour des Mondes
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Chapitre 314 : Avoir besoin d’air
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Pour l’instant, j’ai besoin d’air frais, de voir le soleil et de me laver. Je pense l’avoir mérité.

Je sors de la Fosse en disant à Korail de me retrouver dans le bar en haut de l’ascenseur plus tard. Autour de moi, les gens se reculent comme si je leur faisais peur, mais je trouve ça presque étonnant.

[Tu es couvert de sang, de cendres humaines et ton vermillon est activé. Ton armure n’est pas non plus en super état. Sans parler du sort d’Adam dont tu t’es occupé en quelques secondes, tu viens de passer suffisamment de temps à te battre et à tuer pour qu’ils comprennent que tu ne plaisantes pas.]

Je hausse simplement les épaules. Je veux partir d’ici.

Je récupère Micha que je place dans sa poche en cuir. Elle semble encore subir le contrecoup de la fusion, mais je lui donne une goutte de potion de sang de dragon pour qu’elle se remette. Yuu remonte dans sa besace alors que j’attrape Persée pour l’enrouler autour de mon cou puisqu’il a une forme d’écharpe. Juliette s’installe lentement sur mon avant-bras en sortant de mon corps et je m’assure rapidement que tout va bien à travers les liens. Ils sont encore inquiets de me voir dans cet état, mais ça attendra.

Les rats se rassemblent autour de moi en remontant hors de la fosse.

{J’ouvre le chemin !}

Merci Micha, mais ne te fatigue pas trop.

À travers le lien, elle me fait comprendre que tout va bien et que je m’inquiète pour rien. Je commence ensuite à marcher en passant à côté de Korail qui reste solennel et Pete qui semble un peu pâle. Je ne vois pas Blue, mais elle va probablement bien.

La foule s’écarte de mon chemin alors que je commence à monter les escaliers pour sortir. Les rats font le plus gros du travail en obligeant les gens à se pousser.

« Un nouveau champion vient de naître dans la Fosse ! Nomad ! Le Dresseur Assassin !! »

L’organisatrice et le public derrière moi se mettent à crier pour créer une sorte d’ovation, mais j’ai juste besoin de partir. Je presse le pas en continuant de serrer les poings. La mort des rats a eu un sacré contrecoup, mais Yuu s’assure que je ne perde pas connaissance alors que chaque sensation que je ressens est comme du verre pilé que l’on frotte directement contre mon cerveau. Je suis encore debout parce que j’ai les liens avec les rats restants pour me préserver.

Avoir autant de liens me donne l’impression de réfléchir devant une enceinte coincée sur le volume maximum. C’est aussi pour ça qu’en avoir trop pendant un long moment n’est pas dans mon intérêt. Fae a été assez claire là-dessus.

« Une meute est un être puissant. Elle te sauvera de plus d’une façon. Tu peux y prendre goût avec le temps et l’expérience, mais tu perdras ton identité et ta personnalité si tu ne fais pas attention. En tant que Dresseur, la meute existe grâce à toi, mais tu existes aussi à travers elle. »

J’ai fini par le comprendre pendant l’entraînement. Après plusieurs jours à m’habituer à la présence de la meute autour de moi, mes idées n’étaient plus aussi claires. Ensuite, j’ai failli perdre la raison quand le premier animal a été malade pendant plusieurs jours… Pendant cette période où j’étais immobilisé par la douleur, un autre est mort tué par un prédateur pendant la nuit. Le troisième est mort tué par accident pendant ma première rencontre avec des éléphants. À chaque fois, Fae m’a de moins en moins aidé à surmonter la douleur. La dernière mort a été la plus violente puisqu’il s’agissait d’un zèbre.

Perdre plusieurs rats me fait l’effet d’une crise cardiaque, une sorte de perte de connaissance extrêmement douloureuse, mais j’y survivrais.

Mon dressage des cellules d’Alice était bien pire. Entre les cellules qui se faisaient attaquer et détruire par les autres et le nombre de liens. C’est effectivement un miracle que ma tête n’ait pas explosé à ce moment-là.

Alors que je traverse les rues de l’Erèbe, la centaine de rats qui m’entoure fait en sorte que les gens reculent.

Mes mains continuent de trembler et j’ai du mal à marcher en ligne droite. Je suis aussi fatigué, mais c’est ma colère qui me permet de continuer à avancer.

[T’en prendre à elle ne changera rien.]

Je compte juste me servir de l’ascenseur pour remonter à la surface. J’ai le droit maintenant. Cette Miss Jonah… je ne veux plus jamais la revoir. Je ne sais même pas si j’ai envie de revoir Mad’. J’ai… J’ai juste besoin de repos et de réfléchir. Je penserai à tout ça plus tard.

Alors que je dis ça à Yuu, je peux sentir que Micha et même Juliette sont inquiètes pour moi, mais je n’ai pas la force ou même la possibilité de leur mentir en leur disant que tout va bien. Je me concentre pour leur faire comprendre que ça ira.

Je finis par arriver devant le club souterrain de Miss Jonah. Des néons font briller le nom du club que je n’avais pas pris le temps de regarder. Le Mépris, donc. Amusant vu ce que je pense de Miss Jonah en ce moment.

Les rats ouvrent les portes pour moi et frayent un chemin en faisant reculer les grimpeurs sur ma route. Les Catins sont effrayées de voir autant de rats, mais les grimpeurs s’écartent juste de surprise en me voyant.

Il y en a probablement dans le lot qui sont capables de m’arrêter ou qui pourraient mal prendre mon entrée avec des rats, mais même ce que j’imagine être les videurs se contentent de s’écarter en comprenant probablement où je vais. Je ne jette même pas un coup d’œil vers la vitre du premier étage derrière laquelle se prélasse sans doute Miss Jonah alors que les rats appellent et ouvrent les portes de l’ascenseur pour moi.

Combien de gens est-ce que je viens de tuer pour pouvoir me servir de cet ascenseur ? Combien de fois est-ce que j’ai manqué de mourir pour obtenir le droit de passer de la surface à l’Erèbe ? Je ne parle même pas du reste de mon groupe. La Sorcière m’a aidé, mais j’ai du mal à voir les autres comme autre chose que la raison pour laquelle je suis dans cet état. C’est avant tout pour eux que j’ai eu à me battre dans la Fosse. Plus je réfléchis et moins mon esprit va dans les bonnes directions.

Je m’assois dans l’ascenseur alors que les rats s’agglutinent autour de moi. Leur odeur ne fait que couvrir légèrement l’odeur de brûlé, mais la chaleur corporelle est réconfortante. Me concentrer sur la respiration des rats a quelque chose de relaxant, comme d’écouter le sifflement du vent, et cela m’éloigne de mes réflexions.

Pendant toute la durée de l’ascension, mon corps se met à trembler nerveusement. J’ai plus ou moins compris que j’étais en train de faire une crise de nerfs, mais je suis tellement fatigué d’être commandé ici et là. Depuis mon retour au pied de la tour, je ne fais que me battre et tuer des inconnus qui veulent ma mort, mais je n’ai jamais voulu d’une vie de ce genre.

Jamais je n’aurais cru qu’une vie d’aventure me demanderait d’affronter autant de gens qui veulent ma mort personnellement. C’est parce que je suis un Dresseur ? Un Assassin ? Ou simplement moi ?

Tout ce que je suis, tout ce que j’ai… on veut ma mort pour ça.

Je m’entraîne, je m’équipe, je fais ce que l’on me dit pour régler des problèmes qui ne font que devenir plus grave. Même maintenant, devenir le champion de la Fosse est sans doute plus un problème qu’une réussite. Au moins, Alice la Dragonne aura un titre de plus à ajouter à sa liste de mes hauts-faits. « Champion de la Fosse », « le grimpeur qui a affronté et tué dans une fosse puante les ennemis qui voulaient son argent, car une matrone voulait qu’il paye l’accès à son ascenseur ». Tout ça pour me débarrasser d’une guilde…

Je comprends mieux pourquoi certains grimpeurs ne reviennent pas au pied de la tour.

[Tu pourrais partir, tu sais ? La porte de Galatia est toujours ouverte.]

Non. Changer d’avis maintenant remettrait en question tout ce que j’ai fait à présent. Y compris ce que je viens de faire dans la Fosse. Me débarrasser d’Arcana, c’est me débarrasser de la première erreur que j’ai faite au pied de la tour, tuer Léon.

J’avais peu de choix, mais je n’aurais pas dû et j’aurais dû fuir dans la tour directement sans me retourner.

Je m’esclaffe quelques instants. Non, devenir Dresseur n’était pas une erreur. Dresser Micha m’a sauvé. Dans la tour, je suis bien plus heureux que sur Terre. J’ai retrouvé ma liberté et j’ai fait une croix sur cette vie terrienne il y a un moment maintenant. Cela dit, de la même façon que quand je repense à tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, cela peut me faire sourire, il y a aussi ce genre de moment pour contrebalancer les choses… Couvert de sang et de cendres, fatigué par les combats et à trouver du réconfort dans la chaleur d’une centaine de rats auxquels je suis connecté à travers les liens.

Je repense à la Terre et à Micha, mon ancienne copine. Malgré moi, mes pensées m’amènent vers des endroits où j’étais plus heureux, comme quand j’étais dans ses bras. Me dire que je retrouve ce « réconfort » qu’elle m’offrait dans des rats me fait rire nerveusement une fois de plus.

L’ascenseur s’ouvre et je me relève en m’aidant de la rambarde. Je marche à travers le bar où j’ai vu Mad’ et Cro’.

Je ne vois que l’homme à la peau couverte d’os en train de passer le balai entre les tables qui s’arrête en me regardant passer avec mes rats.

J’ouvre ensuite la porte en métal pour sortir de là et je me retrouve dans la ruelle en aspirant l’air frais et en plissant les yeux à cause du soleil. Je m’effondre par terre entre les bouteilles vides et les mégots. En m’allongeant par terre, je regarde le ciel bleu au-dessus de ma tête. Pas de nuage à l’horizon, mais il y a une masse sombre que je peux voir du coin de l’œil et qui me rappelle où je me trouve. La tour centrale qui monte sans fin vers le ciel.

J’ai touché le fond en me battant dans la Fosse. Regarder la tour comme je le fais maintenant me donne juste envie de la maudire. Après tout ce temps à rêver des possibilités du pied de la tour, j’imagine que c’est un retour brutal à la réalité.

Ce lieu est juste enrobé d’une couche de fantaisie, de liberté et d’espoir personnel. En bien ou en mal, cette image se fissure lentement dans ma tête.

Je regarde le ciel bleu au-dessus de moi. Je suis vivant et je vais continuer à me battre.



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