« Vous n’avez pas besoin de divulguer quoi que ce soit sur votre patron, ni d’entrer dans les détails concernant votre rémunération. Vous pouvez répondre de manière très vague ! Ne vous inquiétez pas, cette interview est totalement anonyme, et je prendrai des notes à la main sans utiliser d’enregistreur ni de caméra. »
Hu Yue semblait avoir tout prévu. Elle sortit son carnet de notes et retourna ses poches pour prouver qu’elle ne portait aucun appareil d’enregistrement.
Ma Yiqun en resta bouche bée.
« Vous prenez vraiment votre métier à cœur, non ? Quant à Tengda… ce n’est qu’une entreprise de jeux comme les autres, pourquoi tant d’acharnement pour cette interview ? »
« Pas du tout ! » répliqua vivement Hu Yue, les yeux brillants. « Je mène cette interview pour le bien de l’industrie vidéoludique nationale, pour son avenir et son développement ! »
Ma Yiqun cligna des yeux, déconcerté.
« Hein ? Que voulez-vous dire ? »
Les pupilles de Hu Yue scintillèrent d’une lueur déterminée.
« S’il s’agissait d’une simple interview, j’aurais abandonné depuis longtemps. Mais Tengda est différente ! Si je veux en parler, ce n’est ni pour les vues, ni pour l’argent. Je veux prouver à toute l’industrie du jeu en Chine qu’il existe vraiment une entreprise de jeux honnête et bienveillante ! »
« Jusqu’à présent, notre industrie n’a cessé d’être critiquée par les joueurs : des jeux bâclés, des mécaniques de monétisation abusives, une créativité en berne… En tant que journaliste spécialisée, j’ai souvent été consternée, même écoeurée par cette réalité, mais je n’avais aucun moyen d’agir ! »
« Pourtant, l’apparition de Tengda m’a permis de découvrir un autre type d’entreprise : une entreprise qui accorde une attention méticuleuse à la qualité de ses jeux, audacieuse dans sa créativité, désintéressée financièrement, et qui considère le jeu vidéo comme un art à part entière ! »
« Je me suis dit : les rouages internes de Tengda doivent être aussi différents que ses jeux ! Si je parviens vraiment à mener cette interview à terme, elle pourrait avoir un impact considérable sur l’industrie vidéoludique nationale. »
« J’espère que Tengda deviendra un porte-étendard, un modèle à suivre, une lumière capable de guider toute l’industrie du jeu vers un avenir meilleur. Je veux que tous les joueurs qui aiment les jeux chinois continuent de croire en eux, qu’ils sachent que l’espoir existe encore ! »
Ma Yiqun resta silencieux.
Au départ, si Hu Yue était simplement venue en quête de ragots pour pondre un article à clics, il l’aurait envoyée balader sans l’ombre d’une hésitation.
Mais ses paroles, sincères et passionnées, venaient de l’ébranler.
Si Tengda pouvait réellement devenir un modèle à suivre, et même, dans une certaine mesure, transformer la mentalité générale de l’industrie du jeu en Chine… ce serait une chose formidable, non ?
Sous cet angle, il avait peut-être raison d’accepter l’interview.
Mais d’un autre côté, Patron Pei lui avait expressément demandé de ne pas révéler son identité, ni d’aborder quoi que ce soit lié aux salaires ou à la politique interne de l’entreprise.
Un véritable dilemme…
Après un moment de réflexion, Ma Yiqun déclara :
« Voilà ce que je te propose. Laisse-moi tes coordonnées. Donne-moi une journée pour y réfléchir. »
« D’accord. »
Hu Yue comprenait que ce genre de choses ne pouvait pas être précipité. Elle tendit donc sa carte à Ma Yiqun.
Après une nuit entière de réflexion, Ma Yiqun n’avait toujours pas réussi à se décider.
Plus il y pensait, plus il se disait qu’il valait mieux demander conseil à Bao Xu une fois arrivé au bureau.
Après tout, même si l’interview était censée rester anonyme, si cela finissait par déplaire à Patron Pei, il se sentirait mal.
Aller le voir directement ? Trop abrupt.
Mais Bao Xu connaissait Patron Pei mieux que quiconque, lui demander son avis semblait plus sage.
Le lendemain matin, Ma Yiqun aborda Bao Xu et lui expliqua la situation en quelques mots.
Ce dernier prit un moment pour réfléchir, puis déclara :
« À mon avis, tu peux accepter cette interview. »
Ma Yiqun resta dubitatif.
« Mais… Patron Pei nous a pourtant bien précisé de ne pas révéler son identité, ni d’aborder quoi que ce soit lié à la politique salariale de l’entreprise, non ? »
Bao Xu secoua la tête avec un sourire.
« Tu prends tout au pied de la lettre. Tu dois essayer de comprendre les véritables intentions de Patron Pei. »
Les yeux de Ma Yiqun s’illuminèrent légèrement.
« Les véritables intentions… de Patron Pei ? »
En effet, il avait posé la question à la bonne personne ! Seul quelqu’un d’aussi avisé que Bao Xu pouvait comprendre les intentions de Patron Pei. S’il suivait les conseils de Bao Xu, il ne risquait pas de se tromper.
Bao Xu prit un instant pour organiser ses pensées avant d’expliquer :
« Patron Pei ne veut pas que nous révélions son identité, ni que l’on parle des salaires chez Tengda. Au début, je trouvais cela étrange, difficile à comprendre. Qui ne voudrait pas être reconnu ? Pourtant, en y réfléchissant calmement, j’ai fini par saisir le pourquoi. »
« Pourquoi Patron Pei tient-il à rester dans l’ombre ? Parce que c’est un homme discret. C’est un concepteur de jeux charismatique, mais si son identité était trop connue, peut-être que les joueurs s’intéresseraient plus à lui qu’à ses créations. »
« En fait, Patron Pei veut que les joueurs se concentrent sur ses jeux, pas sur sa personne. »
« Il refuse que les joueurs deviennent de simples fans aveugles, courant après des idoles. Il souhaite que chacun puisse mettre de côté son charme personnel pour juger ses jeux de manière objective et juste. »
Ma Yiqun eut alors une révélation.
« Je comprends maintenant ! C’est comme ce qu’un auteur avait dit : ‘Si on mange un œuf et qu’on le trouve bon, pourquoi aurait-on besoin de connaître la poule qui l’a pondu ?’ »
Bao Xu acquiesça avec un sourire.
« Exactement, c’est toute la logique. Yiqun, tu es vraiment un étudiant en lettres chinoises ! »
Ma Yiqun, un peu embarrassé, répondit :
« Frère Bao, vous êtes trop aimable ; ce n’est que par hasard que j’y avais pensé. On dirait que les vrais maîtres restent toujours humbles et préfèrent garder profil bas. »
« Mais alors… pourquoi Patron Pei ne veut-il pas que l’on dévoile les avantages sociaux et les salaires de l’entreprise ? » poursuivit Ma Yiqun, curieux.
Bao Xu poussa un soupir avant d’expliquer :
« Je pense que Patron Pei agit en pensant à l’ensemble de l’industrie du jeu domestique. Nous savons tous que les avantages et les salaires chez Tengda sont inégalés. Aucune autre entreprise de jeux ne peut rivaliser avec eux. Si tout cela venait à être connu… »
« Toute l’industrie en serait bouleversée, n’est-ce pas ? »
Ma Yiqun, un peu perplexe, rétorqua :
« Mais dans ce cas, tous les talents se précipiteraient vers Tengda ; ce ne serait pas une bonne chose ? »
Bao Xu secoua la tête avec gravité.
« Tu regardes ça d’un seul côté. Si Tengda venait à casser les standards du secteur en offrant d’aussi bons avantages, cela pourrait susciter la rancune des autres entreprises. Tengda risquerait alors de devenir la cible commune des critiques. Même si ce risque n’est pas très élevé, il faut rester prudent. »
« De plus, si cette information devenait publique, cela aurait un impact négatif sur les start-ups et petites entreprises en pleine croissance. Certes, de bons avantages sont une excellente chose, mais tous les patrons ne sont pas aussi bienveillants que Patron Pei. »
« Les entreprises qui offrent moins d’avantages à leurs employés ne sont pas forcément sans cœur ; elles traversent souvent de grandes difficultés. Beaucoup de patrons de jeunes startups travaillent d’arrache-pied aux côtés de leurs équipes, partageant les mêmes efforts et les mêmes sacrifices. Des exemples comme ceux-là, on en trouve partout. »
« Si Tengda révélait soudainement ses conditions avantageuses, et que cela provoquait l’effondrement d’autres sociétés qui, jusque-là, s’en sortaient à peu près, est-ce que ce serait une bonne chose ? Bien sûr que non! »
« La culture et l’environnement général de l’industrie du jeu doivent évoluer progressivement. Si Tengda fixait brusquement des standards trop élevés, cela risquerait de provoquer une réaction de rejet. »
Ma Yiqun hocha la tête avec compréhension.
« Ah, je comprends mieux maintenant. C’est comme l’ancienne histoire de Zigong qui rachète un esclave, n’est-ce pas ? »
Bao Xu resta un peu perplexe. Parler avec un passionné de Lettres chinoises pouvait parfois s’avérer… un peu déroutant.
