1er avril. Poisson d’avril…
Game Designer était désormais en vente officielle. Prix fixé : vingt-huit yuans !
Tengda ayant gagné en notoriété et mobilisé plusieurs vidéastes populaires pour faire la promo de ce nouveau jeu, il était impensable que son lancement passe inaperçu auprès des gamers.
Pour Pei Qian, le prix avait été un véritable casse-tête.
Pas trop bas, la douloureuse leçon de Ghost General était encore fraîche.
Pas trop haut non plus, Ocean Stronghold lui avait enseigné autre chose…
Alors, quelle était la solution ?
Coincé entre deux échecs, Pei Qian avait longuement réfléchi… pour finalement opter pour un tarif légèrement inférieur à la moyenne.
Pourquoi ce choix ?
Parce que Game Designer avait une particularité bien à lui : on pouvait le « terminer par procuration».
Autrement dit, grâce aux créateurs de contenu qui publieraient des vidéos de gameplay, les joueurs par procuration, des joueurs passifs qui préfèrent regarder plutôt que jouer, pourraient vivre l’intégralité de l’expérience sans jamais dépenser un centime.
Donc, qui allait réellement acheter ce jeu ?
Les hardcore gamers.
Les vidéastes, les streameuses, les passionnés de jeux solo chinois… Bref, les vrais. Ceux qui n’allaient pas chipoter pour vingt, trente ou même quatre-vingt yuans.
Pour eux, le prix n’était pas un frein.
Quant aux joueurs par procuration , habitués à tout consommer gratuitement… même à un yuan, ça resterait trop cher.
En prenant tout cela en compte, vingt-huit yuans, c’était parfait. C’était même le prix le plus bas que le Système autorisait Pei Qian à fixer.
Son objectif était clair : toucher un public restreint, et donc… perdre de l’argent.
Évidemment, ce tarif avait inquiété certains membres de l’équipe. Allaient-ils seulement rentrer dans leurs frais ?
Mais Pei Qian balaya toutes les objections d’un revers de la main. Le prix fut validé.
Ce qu’il espérait ?
Un jeu à gros budget, avec des visuels sublimes, un énorme buzz… et des ventes catastrophiques.
Le gros de l’investissement de Game Designer s’était concentré sur l’aspect graphique.
Plus de deux millions de yuans injectés rien que pour l’art visuel. En tout, trois millions pour le développement complet.
Ruan Guangjian leur avait fait un prix, certes, mais il n’était en charge que du design. Pour les animations, décors et modélisations, Tengda avait dû faire appel à d’autres prestataires.
Résultat : il faudrait vendre plus de 300 000 exemplaires rien que pour atteindre le seuil de rentabilité.
Pei Qian, lui, était très confiant : ça n’arriverait pas.
Il acceptait l’idée qu’une poignée de joueurs aiment souffrir… mais trois cent mille masochistes ? Sérieusement ?
…
Au moment même où le jeu sortait, Qiao Liang mettait en ligne sa vidéo.
Aussitôt après, il se déconnecta en urgence de la plateforme Potato Web.
Notifications désactivées. Messageries muettes. Téléphone en mode silence. Mode survie activé.
Il expédia ensuite le lien de la vidéo à Lu Mingliang. Et quelques minutes plus tard, le virement tombait.
L’argent était là.
Qiao Liang poussa un long soupir de soulagement.
Parfait.
Il était désormais en mode autruche total. Le chaos pouvait bien s’abattre, peu lui importait.
L’argent était sur son compte, et il comptait bien se la couler douce pendant deux mois avant de prêter la moindre attention à ce qui allait suivre.
Même s’il devait se faire détruire dans les commentaires, il suffisait d’attendre que la tempête passe. Deux mois plus tard, il reviendrait comme si de rien n’était.
Maître Qiao resterait un homme de bien.
…
Peu de temps après la mise en ligne de la vidéo, les fans de Qiao Liang reçurent une notification.
Dix minutes plus tard, c’était la débandade émotionnelle.
Ils étaient blessés. Profondément.
Au début, en voyant que Maître Qiao avait publié une nouvelle vidéo, ils étaient fous de joie.
Mais en découvrant qu’elle apparaissait dans la section Nouveaux jeux recommandés du mois , l’excitation retomba de moitié.
Ils connaissaient bien cette rubrique : c’était là qu’il postait ses partenariats sponsorisés.
Généralement,ce n’était pas les vidéos les plus amusantes.
Une partie des fans, un peu blasés, cliqua quand même pour jeter un œil.
Et là…
Leurs trois visions du monde, de la vie et des valeurs furent pulvérisées.
La vidéo ne contenait que des extraits d’un jeu au visuel sublime, sans aucune matière à critique.
Mais la narration, elle…
Elle relevait du cauchemar auditif.
« Mes chers papas poules, salutations. C’est toujours votre parrain du jeu préféré, Maître Qiao. Avant de commencer cette vidéo, je vous prie, chers papas poules, de me laisser… me calmer un peu. Slurp, slurp, slurp… ah…
Le jeu que vous voyez là… vous avez vu qui l’a fait ? Tengda ! Tengda Games vient de sortir un nouveau jeu. Permettez-moi de vous présenter ces magnifiques images…
Désolé, je suis un peu confus. Ohlala… Mesdames, Messieurs… la toute première fois…
Ça fait des années que je n’avais pas ressenti ça. J’ai attendu ce jeu si longtemps… À 3h11 du matin, l’équipe R&D de Tengda m’a envoyé ce bijou. Il s’appelle Game Designer . G-A-M-E, game , game designer !
Formidable ! »
…
Les fans de Maître Qiao restèrent figés.
La bouche grande ouverte, en forme de “O”, jusqu’à la fin de la vidéo.
Elle ne durait même pas dix minutes, mais le style… n’avait rien à voir avec ce qu’ils connaissaient.
Habituellement, même dans ses vidéos sponsorisées, Qiao Liang faisait un vrai effort.
Il adaptait sa présentation à chaque jeu, gardait un ton fluide, agréable, et restait fidèle à lui-même.
Il mettait en avant les points positifs, minimisait les défauts, mais le tout restait sincère, structuré, divertissant.
Mais là…
C’était quoi, ce délire ?
Étrangement, il mélangeait l’anglais et le mandarin, avec un ton tellement mielleux qu’il en devenait répugnant.
Il encensait le jeu sans aucune retenue, sans mentionner ne serait-ce qu’un seul défaut.
Pire encore : tout ce qu’il disait était vide de sens, comme s’il ne trouvait même pas quoi dire de bien sur le jeu.
Mais le plus grave, c’est qu’après avoir regardé la vidéo jusqu’au bout…
rien.
Pas une seule information utile. Pas une vraie analyse.
Un vide intersidéral.
Un pur gaspillage de temps.
À part provoquer un profond malaise, la vidéo ne servait strictement à rien.
Et pour beaucoup de fans, c’était trop dur à encaisser.
« Maître Qiao, si tu as été kidnappé, cligne des yeux ! Ah non, on ne te voit pas. Bon, tant pis. »
« C’est quoi ce délire ? Tu as le droit d’être ironique, mais là, c’est juste… gênant. »
« Fuyons. Vite. »
« Les lèche-bottes méritent de disparaître ! »
« J’aurais dû me méfier dès que j’ai vu que c’était dans la section Nouveaux jeux recommandés du mois … »
« C’est une blague du 1er avril, hein ? Hein ? Ah ouais… on est le 1er. Ok. »
« J’arrive même pas à savoir s’il se fout de nous… ou s’il est sérieux. »
« Quand tu n’arrives pas à savoir si c’est du sarcasme ou de la stupidité, par défaut… c’est de la stupidité. »
« J’ai compté. Dans cette vidéo de dix minutes, tu dis « uh-oh » plus de trente fois. Je m’ennuie. Et tu es un lèche-bottes. »
« Uh-oh, génial. Voilà mon propre moment. »
« Sérieusement, combien ils lui ont filé pour qu’un mec comme Maître Qiao qui a testé des centaines de jeux accepte de pondre une pub pareille ?! »
« Franchement, je commence à me demander s’il a vraiment été payé. Le client n’a pas dû vomir en voyant ça ? »
« Et le pire, c’est que c’est pour Tengda Games ! Du chef-d’œuvre The lonely desert road à ce Game Designer ridicule… Je suis choqué. Qu’est-ce qu’il s’est passé entre Tengda et Maître Qiao ? »
« Le fameux critique de jeux a-t-il été corrompu par l’argent du Mal ? J’arrive pas à m’empêcher d’imaginer une sombre scène dans une salle enfumée… »
« Apparemment, Tengda a vraiment sorti un nouveau jeu aujourd’hui… Game Designer . À 99,99%, c’est un partenariat payé. »
« C’est vraiment eux ? Les mêmes qui ont fait Ghost General et Ocean Stronghold ? Pourquoi leur marketing est aussi pourri ? Ou bien… Maître Qiao a décidé de faire de la lèche tout seul ? »
« Après cette vidéo, j’étais sûr d’une chose : je ne toucherai jamais à cette daube. Mais… en voyant que c’est un jeu de Tengda, j’hésite. J’ai envie d’essayer. Qu’est-ce que je fais ? »
« Fais pas ça ! Tu sais que c’est de la merde, pourquoi tu veux y goûter ? C’est quoi ce mépris de toi-même ?! »
« Moi c’est l’inverse. Si ce jeu a réussi à faire ramper mon fils à ce point, je veux savoir ce qu’il a dans le ventre. »