Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 26 – Ne sortez pas
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Chapitre 26 – Ne sortez pas

Contrairement aux villes du continent telles que Backlund, Tingen et le Port de Pritz, les îles coloniales comme le Port de Bansy n’avaient pas de gaz. Les réverbères qui bordaient les rues étaient rares et se composaient de bougies dans une cage de verre qu’il fallait allumer.

Malheureusement, le vent s’étant levé tôt, personne ne sortit ce soir-là. Les bougies ne brillant pas à l’heure prévue, la route restait sombre. Seule la lune rouge filtrait faiblement à travers les nuages.

Le vent ayant considérablement faibli, Klein n’avait plus à craindre d’être distrait par le fait de devoir garder son chapeau sur la tête.

Un fin brouillard envahissait peu à peu l’air, et les portes et les fenêtres des maisons, pour la plupart à étage, étaient hermétiquement fermées. Il faisait nuit noire et on ne voyait aucune lumière. On aurait dit que le quartier était depuis longtemps inhabité.

Une lanterne jaune dans une main et sa canne en bois dur dans l’autre, Klein descendit rapidement la rue tranquille en direction du restaurant Le Citron Vert, que Danitz Le Flamboyant lui avait indiqué.

Au milieu du brouillard, le vent se mit à tourbillonner et Klein ressentit un frisson déconcertant dans la nuque.

De sa main droite qui tenait la canne, il releva le col de sa redingote à double boutonnage de manière à ce que son cou soit entièrement couvert.

Soudain, une image apparut dans son esprit !

Une ombre noire de la taille d’une pastèque, surgie du brouillard, filait droit vers son oreille.

Sans réfléchir, Klein donna un grand coup de canne.

Au moment où l’ombre noire s’approchait, elle fut frappée de plein fouet et projetée loin de là.

À la lumière de sa lanterne, Klein vit enfin ce qui l’avait attaqué.

C’était une tête !

Une tête sans corps, une tête dont l’œsophage pendait !

Celle-ci flottait dans les airs, le visage semblable à du fromage séché couvert de moisissure. Un liquide d’un vert jaunâtre coulait le long de la peau et en soulignait les contours.

Il n’y avait plus que deux trous noirs à la place du nez. Ses yeux globuleux étaient en grande partie blancs et ses lèvres, presque totalement décomposées, laissaient voir des dents aiguisées mêlées de sang !

Me*de ! jura intérieurement Danitz, le cœur tremblant.

Même s’il avait pris part à de nombreuses chasses au trésor et combattu bon nombre de monstres, il avait rarement vu quelque chose d’aussi répugnant et horrifiant.

Sans que l’on sache quand ni comment, un revolver classique avait fait son apparition dans sa main, il s’apprêtait à tirer en soutenant son coude.

C’est alors qu’il vit un rayon de lumière pure descendre du ciel et se poser sur la tête un peu raidie.

Un hurlement à vous glacer le sang retentit et la tête fut pulvérisée en cendres. Elle disparut sans laisser de traces.

Quelle faiblesse ! commenta machinalement Danitz.

Ce monstre de Gehrman Sparrow serait-il de la voie du Soleil ? On ne dirait pas… Il s’est probablement servi d’une sorte d’objet occulte… Je viens seulement de le réaliser : Gehrman Sparrow avait perçu la présence de l’ennemi et l’a attaqué. Il est vraiment très fort… pensa le pirate en reportant son attention sur un autre aspect de l’évènement.

Alors que ses pensées s’apaisaient, il vit, du coin de l’œil, une tête similaire sortir du brouillard non loin de lui avec l’intention de le mordre au cou.

Le pirate pressa calmement la détente.

La balle en laiton vint frapper avec précision la glabelle de cette tête couverte de moisissure qui, stoppée en plein vol, fut rejetée en arrière.

Presqu’aussitôt, une boule cramoisie se forma au-dessus de la paume gauche de Danitz et une lumière ardente se mit à tourbillonner.

Il se pencha en avant, rétracta le bras et “lança” la boule de feu qui vint s’écraser sur la tête.

Des flammes jaillirent et la tête se mit à brûler. Très vite, la peau carbonisa avec un grésillement.

Malgré tout et comme si elle n’en était pas affectée, la tête se précipita sur le pirate, la bouche grande ouverte, prête à lui mordre le cou.

Danitz ne s’attendait pas à la tournure que prenaient les évènements. Pris de court, il fit une rapide roulade, évitant de justesse une blessure mortelle.

Une tache écarlate avait réapparu sur sa paume gauche, mais au lieu de prendre de l’ampleur, la flamme, cette fois, rétrécissait progressivement.

En une seconde et tandis qu’il esquivait, Danitz lança une boule de feu orange qui n’était pas plus grosse qu’un œil.

Contrôlée par son énergie spirituelle, celle-ci décrivit dans les airs un arc de cercle et se dirigea droit vers la bouche de la tête ratatinée.

Une lumière ardente jaillit et l’explosion fit éclater de l’intérieur la tête volante, projetant partout des débris et du sang.

Le pirate se remit sur pieds d’une roulade et poussa un soupir de soulagement :

Enfin je l’ai eue…

Seulement alors, il réalisa que ce monstre sans corps n’était pas facile à vaincre. Pourtant, Gehrman Sparrow n’avait eu aucun mal à en tuer un.

C’est principalement parce que les pouvoirs Transcendants du domaine du Soleil restreignent ce genre de choses ! pensa-t-il avec dédain.

Tournant la tête sur le côté, il vit que Gehrman Sparrow ne l’avait pas attendu. Sa canne et sa lanterne à la main, il courait au loin, son manteau noir flottant légèrement derrière lui.

… Me*de ! Attendez-moi… Attendez-moi ! Les pupilles contractées, Danitz se lança à sa poursuite au pas de course. Il craignait de rester seul dans le brouillard et l’obscurité.

Au restaurant Le Citron Vert…

Donna regarda le bol de porcelaine blanche posé devant elle et les tranches de pain de boudin rouge sombre qu’il contenait. Elle repensa à la sensation étrange et terrifiante qu’elle avait éprouvée quelques minutes auparavant en voyant les clients manger, ainsi qu’au sang qui suintait du cou de l’homme sans tête.

Sa gorge se contracta et elle faillit vomir.

La jeune fille décida de renoncer à ce mets, même si son parfum s’était déjà infiltré dans ses narines.

Elle mangea machinalement sa salade et sa purée de pommes de terre, et attendit que le vent se calme. L’horloge sur le mur tournait très lentement.

Les secondes s’égrenaient. Un à un, les clients payaient leur note et quittaient l’étage qui était de plus en plus silencieux.

Donna trouvait frustrant le bruit des pieds qui descendaient les marches de bois.

Enfin, elle constata que les arbres au dehors ne se balançaient plus. Le sol était jonché de toutes sortes de déchets.

– « Le vent s’est arrêté ! » s’écria la jeune fille en désignant la fenêtre, pleine d’enthousiasme.

Son père Urdi, un marchand d’import-export, se pinça le front et grogna :

– « Où sont passées tes bonnes manières à table, Donna ? »

– « Mais… »

Elle s’apprêtait à répliquer lorsque Cleves fit un geste pour réclamer le calme.

– « Il est 19 h 40 et nous avons presque fini de dîner. Rentrons au plus vite. Beaucoup de vilaines légendes courent au sujet de la nuit dans le Port de Bansy. »

Tout marchand qui vivait de la mer était plus ou moins superstitieux, surtout lorsqu’il s’agissait de légendes locales. Urdi se tut donc et approuva la suggestion de Clèves.

Il s’empressa de régler la note, et précéda sa famille et ses gardes du corps au rez-de-chaussée.

Clèves s’apprêtait à ouvrir la porte pour passer devant lorsqu’un craquement se fit entendre dans une pièce voisine. Donna faillit crier d’effroi et serra fort la main de Denton.

Une silhouette s’avança, leur lança un regard et dit calmement :

– « Il y a du brouillard, mieux vaut ne pas sortir. »

C’était un homme en queue de pie noire, sans chapeau. Une paire de lunettes reposait sur l’arête de son nez et son visage était charnu, presque circulaire.

– « Qu’essayez-vous de nous faire comprendre, M. Fox ? » demanda Cleves qui avait reconnu le propriétaire du Citron Vert.

– « À Bansy, les nuits où le brouillard et le temps changent radicalement, il est préférable de ne pas sortir et de ne pas répondre si l’on frappe à la porte, sinon il pourrait vous arriver… des choses fâcheuses »

À mesure qu’elle écoutait Donna sentait grandir sa peur.

– « Des gens sont partis avant nous ! » s’exclama-t-elle d’une voix forte.

Fox désigna les chambres à l’étage :

– « Ils ont choisi de rester. »

La voix du propriétaire n’était pas plutôt retombée que les portes des chambres s’ouvrirent, certaines doucement, d’autres brusquement. Les messieurs et dames qu’ils avaient vus précédemment s’approchèrent de leur seuil et observèrent discrètement Donna et sa famille qui envisageaient de partir.

– « Peut-être devrions-nous respecter les coutumes locales », suggéra Urdi Branch qui réfléchissait. « Passer une nuit ici n’affectera pas notre embarquement sur le navire. »

De par son expérience, Cleves aurait dû suivre le conseil de Fox et rester au Citron Vert, mais il se rappela l’avertissement de Gehrman Sparrow, l’avertissement d’un puissant aventurier qui surveillait Danitz Le Flamboyant !

Un danger sommeille dans le Port de Bansy… Il n’a pas précisé si ce danger provenait de l’intérieur ou de l’extérieur…

Prenant rapidement une décision, le garde du corps dit à Urdi :

– « M. Branch, ayez confiance en mon professionnalisme. »

– « Ouais, j’ai vu beaucoup de folklore, mais rien de pragmatique », approuva Teague.

Il n’avait pas fini de parler qu’on entendit des coups frappés à la porte du restaurant et des cris retentirent dans le lointain.

– « Vous voyez ! On frappe à la porte. Ne répondez pas », conseilla calmement Fox.

Le cœur d’Urdi palpitait et il s’apprêtait à décider de passer la nuit là.

Donna regarda les messieurs et les dames debout sur le seuil de leur porte et leur trouva un regard particulièrement étrange.

– « Non, il faut rentrer ! » insista la jeune fille, presque en criant.

Cleves, qui sentait lui aussi une indescriptible oppression et le froid qui s’insinuait dans ses os, réitéra son avis.

– « En cas de problème, il est plus dangereux de rester ici. Sur le navire, il y a des canons et des marins armés de fusils et de sabres. »

Cet argument eut raison des hésitations d’Urdi qui lui fit signe d’ouvrir la porte.

Le garde du corps attendit que les coups se calment puis, son fusil dans une main, obtempéra.

Le hurlement du vent cessa et il régnait une profonde obscurité. On aurait dit qu’une foule de monstres étaient tapis dans le brouillard qui s’étendait.

Donna prit son petit frère dans ses bras et, cachée derrière Cécile, quitta le restaurant pas à pas.

La porte du restaurant se referma brusquement, les empêchant de faire demi-tour.

En cet instant, ils se sentaient comme des bateaux échoués dans la tempête, comme s’il ne restait plus qu’eux en ce monde.

Sa lanterne à la main, Cleves marchait devant lorsqu’il vit soudain quelque chose passer au-dessus de lui, s’écraser au sol et rouler plusieurs fois.

Instinctivement, Donna et les autres tournèrent la tête et poussèrent des cris de terreur.

C’était une tête ratatinée en décomposition !

Puis ils virent de la lumière.

Celle-ci venait du ciel et l’épouvantable tête disparut dans le néant.

Tout tremblants, Urdi et les autres ravalèrent à grand peine leur salive.

C’est alors qu’ils aperçurent une faible lueur jaune qui, émergeant des profondeurs du brouillard, s’approchait.

C’était un homme tenant une lanterne, coiffé d’un semi haut-de-forme et vêtu d’une redingote à double boutonnage couleur de la nuit. Les traits de son visage étaient nets et d’une froideur évidente.

– « Oncle Sparrow ! » s’écrièrent Donna et Denton qui sentirent aussitôt leur cœur s’apaiser.

Klein lança la lanterne à Danitz et sa canne à la main, s’approcha.

– « Allons d’abord au bureau du télégraphe », dit-il à Cleves et aux autres, comme si de rien n’était. « Où sont les Timothy ? »

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