Le pavillon des trésors des Sept Profondes Vallées se trouvait au sommet de la plus haute montagne de la Faction des Forgerons. Même si leurs capacités au combat jouaient de prime abord en leur défaveur, les archimages et les forgerons occupaient un rôle non moins essentiel au sein de la secte. À tel point que ces deux factions recevaient presque autant de ressources chaque année que les deux plus gros poissons de la secte ; la Faction des Épéistes et la Faction Acacia.
Près de quatre-vingt-dix pour cent des trésors utilisés par les disciples des Sept Profondes Vallées provenaient de la Faction des Forgerons. Quant à la Faction des Archimages, c’est elle qui fournissait l’ensemble des enchantements et matrices, comme les barrières protectrices, les systèmes d’accumulation d’énergie ou tous les réseaux de transmission.
Ainsi, les sept grandes factions de la secte dépendaient mutuellement les unes des autres. Et c’est bien cette forme d’interdépendance qui leur avait permis de maintenir un certain équilibre au cours des six cents dernières années, en passant outre les divergences d’opinions et les animosités qui existaient entre les différentes factions.
Une fois arrivé au pavillon des trésors, Lin Ming aperçut un aîné vêtu d’une robe rouge aux nombreux plis qui l’attendait là. Il s’agissait de Liu Xuan, un Aîné de Cercle Extérieur de la Faction des Forgerons. Avec sa cultivation à l’ouverture du Xiantian et son âge déjà avancé, il n’avait absolument aucune chance d’atteindre le Xuandan dans cette vie. De toute manière, même parmi les maîtres Xiantian, il ne s’illustrait pas vraiment par ses prédispositions au combat. À vrai dire, c’était sans doute l’un des plus faibles. Il n’avait donc jamais vraiment cherché à apprendre des compétences martiales orientées vers le combat, consacrant la plupart de son temps et de son énergie à la forge et au travail du métal. De ce fait, tous les trésors façonnés par sa main étaient de la plus haute qualité.
Voyant Lin Ming entrer dans le pavillon sur le dos d’un Aigle Vent Céleste, il l’accueillit avec un large sourire : « Haha ! neveu Lin, ce vieil homme vous attendait avec impatience !
Avec son statut actuel, Lin Ming comptait désormais parmi les personnages importants de la secte. Même en tant qu’Aîné, Liu Xuan se devait de lui témoigner un certain respect.
— Salutations, Aîné, répondit Lin Ming en s’inclinant avec politesse.
Cette marque de déférence ravit Liu Xuan, qui poursuivit aussitôt : — veuillez me suivre, neveu Lin. Je vais vous emmener choisir un trésor du degré terrestre. Si vous en voyez un qui vous plaît, il est pour vous ; c’est aussi simple que cela. »
Un trésor du degré humain de grade supérieur était déjà un objet particulièrement rare et précieux que seul un maître-forgeron à l’ouverture du Xiantian pouvait être en mesure de fabriquer. Ce genre de trésor ne pouvait pas s’acheter dans la première boutique du coin. Zhang Guanyu avait d’ailleurs dû faire jouer toutes ses relations avec l’Union Commerciale pour en obtenir un.
C’était encore pire avec un trésor du degré terrestre de grade inférieur, puisque la réalisation d’un tel ouvrage nécessitait une cultivation au milieu du Xiantian, et parce que même un maître-forgeron au sommet du Xiantian pouvait échouer. Si bien que le pavillon des trésors des Sept Profondes Vallées n’en comportait finalement pas tant. Quant aux armes de qualité encore supérieure telle que Croc de Sang de la Famille Zhang, elles avaient de quoi rendre fou de jalousie n’importe quel maître Xiantian…
Liu Xuan sortit une clé de forme hexagonale de son anneau spatial et l’inséra dans le disque de la matrice qui contrôlait la porte du bâtiment. Le tintement du métal résonna, et les deux immenses battants en pierre commencèrent à s’ouvrir, laissant apparaître un espace à la noirceur impénétrable.
Une rafale glaciale s’échappa aussitôt à travers la porte, comme si elle était emprisonnée à l’intérieur depuis des lustres. C’était l’aura froide et meurtrière des trésors stockés ici qui s’accumulaient avec le temps.
« Quel type de trésors souhaiteriez-vous regarder, neveu Lin ?
— Les lances ! » répondit l’intéressé sans la moindre hésitation. Il ne rencontrait plus que des adversaires avec des armes du degré humain de grade supérieur. Et pas n’importe lesquelles, puisqu’elles étaient systématiquement parmi les meilleures de leur grade.
La Lance Lourde des Profondeurs devenait vraiment insuffisante pour ce genre de combat. D’ailleurs, lors de la finale contre Jiang Baoyun, il avait eu beau l’envelopper dans la protection de sa véritable énergie, sa lance avait reçu d’innombrables petites entailles.
S’il tombait face à un adversaire encore plus fort, la hampe risquait tout simplement de se fendre en deux d’un seul coup.
« Très bien, suivez-moi. » Liu Xuan guida Lin Ming à travers un dédale de râteliers chargés de toutes sortes d’armes, jusqu’à arriver devant une petite salle annexe, dont il poussa immédiatement la porte. Il s’agissait d’une grande pièce d’un seul tenant où s’alignaient dix rangées de râteliers remplis d’une large variété de lances. Certaines étaient sombres, d’autres brillaient d’une couleur argentée, et les pointes dont elles étaient surmontées dégageaient toutes une aura froide et meurtrière. Le phénomène était tel qu’un froid glacial régnait dans la pièce.
« C’est ici », déclara Liu Xuan.
Lin Ming prit une grande bouffée d’air en voyant une telle collection de lances. Les artistes martiaux étaient fascinés par les armes ; naturellement, Lin Ming ne faisait pas exception. Certains allaient jusqu’à les collectionner, quand bien même il ne leur était jamais possible d’en utiliser qu’une seule à la fois.
Cette pièce contenait plusieurs centaines de lances à elle seule. Il y en avait vraiment pour tous les goûts avec des javelots, des lances courtes et d’autres longues, des lances fines et d’autres épaisses, des lances particulièrement rigides et d’autres étonnements souples.
Cependant, après avoir regardé plus en détail, Lin Ming fut quelque peu déçu. Ces lances étaient de moins bonne facture que les armes qu’on trouvait ailleurs dans le pavillon. La plupart d’entre elles étaient du degré humain de grade moyen, avec une seule rangée du degré humain de grade supérieur et uniquement trois exemplaires du degré terrestre.
Voyant sa déception, Liu Xuan s’empressa de préciser : « Puisqu’aucune faction des Sept Profondes Vallées n’utilise la lance, seule une poignée de maîtres-forgerons en ont fabriqué. Pour tout vous dire, la plupart des lances que vous voyez ici y ont été déposées par les disciples de la secte au retour de voyages ou d’aventures. Si vous souhaitez vraiment choisir une lance du degré terrestre, votre choix sera assez limité, puisque nous n’en disposons que de trois exemplaires, et que leur qualité se trouve plutôt dans le bas du panier des armes du degré terrestre de grade inférieur. »
Seulement trois lances, et toutes les trois de la plus médiocre qualité parmi les trésors du degré terrestre ? De plus, en les regardant de plus près, Lin Ming remarqua qu’elles ne possédaient pas la moindre élasticité. Pour lui, c’était tout à fait rédhibitoire.
Non seulement cela contraindrait sérieusement son style de combat, mais Fluidité de la Soie nécessitait une lance flexible pour déployer toute sa puissance.
Embarrassé de voir que ces trois lances ne lui plaisaient pas du tout, Liu Xuan reprit : « Neveu Lin, permettez-moi de vous faire une suggestion… Vous êtes encore jeune, il n’est pas trop tard pour vous tourner vers l’épée. De cette manière, vous pourrez rejoindre la Faction des Épéistes et ainsi accéder à toutes leurs méthodes de cultivation. Et puis pour le coup, ce ne sont pas les bonnes épées qui manquent ici. »
Lin Ming tomba des nues en l’entendant. Ce vieux fou était en train de lui conseiller d’embrasser les méthodes de cultivation d’une secte de grade trois et de repartir à zéro avec l’épée, tout ça pour un trésor du degré terrestre !?
Pensait-il vraiment qu’il avait choisi la lance sur un coup de tête ? Les Vertus Chaotiques des Méridiens de Combat dont Lin Ming avait hérité était sans doute la méthode de cultivation la plus marquée par le principe Yang. La lance se trouvait donc être l’arme la plus adaptée pour en déployer toute la puissance.
Les bretteurs, eux, misaient tout sur la vitesse, les mouvements précis et l’adaptabilité. Cela ne lui allait pas du tout.
Sans compter que Lin Ming possédait également le pouvoir du Dragon Véritable. ‟Le sabre pareil au tigre et la lance pareille au dragon,” ces mots n’étaient pas le fait du hasard. De toutes les armes de ce monde, le caractère imposant et indomptable de la lance en faisait le choix le plus adapté pour refléter la force légendaire du dragon et sa vaste énergie Yang.
Lin Ming resta pensif quelques secondes, avant de demander : « Aîné Liu, si je fournis les matériaux, pensez-vous que je puisse demander aux maîtres-forgerons de la secte de me forger une lance du degré terrestre ?
— Mm ? Quels matériaux ? interrogea Liu Xuan d’un air dubitatif. La fabrication d’un trésor du degré terrestre nécessitait des matériaux d’une valeur inestimable. Vu ses origines modestes, il y avait peu de chance pour que Lin Ming en possède.
— Des matériaux pour la hampe, » répondit-il pour éviter de donner des détails. La réalisation de la hampe représentait l’aspect le plus délicat de la fabrication d’une lance prodigieuse. Si Lin Ming pouvait fournir les matériaux pour la hampe, la réalisation du fer de lance ne poserait pas le moindre problème.
Et il s’agissait ici du Bambou Electrique Divin qu’il avait obtenu dans la cave du Dragon des Flots de la Montagne Frappée par la Foudre.
Bambou Electrique Divin Violet.
Il fallait quatre-vingt-dix ans pour que les racines se développent, neuf siècles pour qu’un jeune bambou se forme, et enfin neuf millénaires pour qu’il soit pleinement mature.
Une fois arrivé à maturité, un Bambou Divin pouvait à son tour libérer des racines, racines qui étaient capables de transpercer le minerai magnétique pour se frayer un chemin jusqu’à un endroit suffisamment riche en énergie pour permettre leur développement.
Lin Ming avait d’abord trouvé un bambou rouge vieux de neuf cents ans dans une première caverne, avant de tomber sur l’arbre dont il était issu à l’intérieur du repaire du Dragon des Flots.
Puisque le premier bambou existait depuis déjà neuf siècles, cela signifiait que le second était âgé de neuf mille neuf cents ans. Il était donc presque aussi vieux que la Montagne Frappée par la Foudre, dont la formation remontait à une dizaine de millénaires !
Si ce bambou possédait une flexibilité remarquable, sa résistance l’était tout autant. Le bambou rouge était déjà incroyablement difficile à endommager avec un sabre ou une épée. Quant au bambou violet, même un maître à l’ouverture du Xiantian rencontrerait toutes les peines du monde en essayant de le trancher.
Toutes ces qualités en faisaient un matériau de premier choix pour réaliser une hampe de lance. D’autant plus que Lin Ming était un artiste martial d’attribut tonnerre. De par sa nature même, ce matériau lui correspondait tout particulièrement.
« Des matériaux pour la hampe ? répéta Liu Xuan avec étonnement, avant d’expliquer, la qualité d’une lance dépend principalement de sa pointe. Les hampes de chacune de ces trois lances sont loin d’être mauvaises, au contraire même, cela ne rimerait à rien d’en forger de nouvelles. Prenez celle-ci par exemple, dit-il en désignant la hampe d’une des trois lances, elle est composée d’un alliage d’Or Ancien et de Fer Astral fondu par les flammes d’un Esprit de Feu. Le matériau ainsi obtenu a été plié et martelé durant neuf cycles de neuf jours complets, pour un total de quatre-vingt-un jours de travail acharné. Soyez certains qu’aucun maître Xiantian ne réussirait à la briser !
— Je n’en doute pas une seconde, rétorqua Lin Ming. Cependant, la qualité d’une lance ne repose pas seulement sur sa pointe, mais aussi sur la hampe à laquelle elle est rattachée. Ces trois lances sont rigides comme la roche, je vois mal comment je pourrais les utiliser.
— Vous voulez une lance flexible du degré terrestre de grade inférieur !? » Liu Xuan resta sans voix. En tant que maître-forgeron, il savait parfaitement combien il était difficile de réussir à forger une lance flexible de ce niveau. Sans parler d’en fabriquer une comme Lin Ming le demandait, le simple fait de trouver les matériaux nécessaires relevait du fantasme.
Si Liu Xuan se souvenait de quelques descriptions croisées dans des textes anciens, il n’avait jamais vu un seul de ces matériaux de ses propres yeux.
Cette requête complètement déraisonnable de Lin Ming l’avait décontenancé. Face à n’importe quel autre disciple, il l’aurait tout simplement envoyé sur les roses. Mais vu le statut particulièrement élevé dont Lin Ming jouissait actuellement, mieux valait prendre le temps de trouver une explication convaincante.
« Vous n’êtes pas forgeron, neveu Lin, j’imagine donc très bien qu’il vous soit difficile de comprendre à quel point il serait difficile de créer une lance flexible du degré terrestre de grade bas. Un tel trésor serait encore plus rare que Croc de Sang, le sabre légendaire de la Famille Zhang ; imaginez un peu ! Mes Sept Profondes Vallées ne disposent pas des matériaux nécessaires pour forger une arme pareille…
— Aîné Liu, insista Lin Ming, je viens de vous dire que j’avais les matériaux.
— Et de quel genre de matériaux s’agit-il ? De l’Argent Léger des Profondeurs ? De l’Or Pur Séculaire ? » Emporté par l’agacement, Liu Xuan avait lâché le nom de deux matériaux particulièrement précieux utilisés dans la fabrication d’arcs, de bâtons et de lances. Mais même ces matériaux étaient loin d’être suffisants…
Son talent avait beau être hors du commun, Liu Xuan continuait de penser qu’il avait affaire à un péquenaud d’une petite ville de province ; et qui plus est encore bien jeune ! Un gamin d’à peine seize ans issu d’une famille de mortels, comment aurait-il pu avoir la moindre idée de ce que représentait un trésor du degré terrestre ? Lin Ming ne saisissait probablement pas à quel point la forge était un art complexe, et il s’était donc imaginé qu’il lui suffisait de rassembler quelques matériaux corrects pour pouvoir fabriquer un trésor du degré terrestre.
De son côté, le jeune homme hésitait, ne sachant pas trop s’il était avisé d’en révéler davantage. Il se trouvait après tout au cœur des Sept Profondes Vallées, à moins de tomber sur un type complètement fêlé, personne n’irait jusqu’à le tuer pour le dépouiller de ses affaires.
Mais il n’eut pas à prendre de décision, puisqu’à ce moment précis, une petite flamme apparut tout à coup devant Liu Xuan. C’était un talisman de transmission sonore, et l’Aîné fut complètement abasourdi par ce qu’il contenait. Le message venait d’un Maître des Vallées en second qui lui commandait de conduire Lin Ming au plus vite jusqu’au Grand Hall des Sept Profondes Vallées, au sommet de la plus haute montagne, où il était attendu pour une audience avec ‟Sa Sainteté l’émissaire de l’Île du Phénix Divin.”
Qu’est-ce que l’Île du Phénix Divin peut bien avoir encore à faire ici ? Naturellement, il n’avait pas la moindre idée de l’identité de cet ‟Émissaire.”
« Neveu Lin, remettons la sélection de votre récompense à plus tard, voulez-vous ? Votre présence est requise au plus vite auprès de Sa Sainteté l’émissaire de l’Île du Phénix Divin. »
Sa Sainteté l’émissaire de l’Île du Phénix Divin ? Le cœur de Lin Ming s’emballa en entendant le mot ‟Sainteté”… Cela ne pouvait pas être…
Non content d’avoir été interrompu, Liu Xuan entreprit d’achever ses explications : « Vous savez, neveu Lin, il ne serait vraiment pas facile de forger une lance flexible d’un aussi haut niveau. Quand bien même le Grand Maître accepterait de vous aider à rassembler les matériaux, qui pourrait bien réaliser un tel ouvrage ? La Faction des Forgerons comporte de nombreux maîtres capables de créer des épées divines ; des lances en revanche, il n’y a vraiment pas grand monde… Que se passerait-il si quelque chose venait à mal tourner ? »
Cette dernière phrase de Liu Xuan résonna longuement dans les oreilles de Lin Ming. Il avait raison ! Peu importe la qualité de ses matériaux, si une des étapes ne se passait pas comme prévu, tout serait fichu… Dans ce cas, que lui restait-il à faire ?
Peut-être … Peut-être que l’Île du Phénix Divin abrite un maître de la forge ? Le résultat n’en serait que meilleur si elle était fabriquée là-bas !
