Les premières lueurs du soleil venaient d’apparaître à l’est, perçant la brume grisâtre qui enveloppait la terre. Les Sept Profondes Vallées étaient en pleine effervescence.
Il ne restait plus à disputer qu’une poignée de matchs, ce qui laissait nettement plus de temps que les jours précédents ; le premier d’entre eux n’était par conséquent pas prévu avant la fin de matinée.
Pourtant, à l’aube, la grande place se trouvait déjà bondée, à tel point qu’il était difficile d’y circuler.
Les combats du rang deux et du rang trois s’étaient tous déroulés sur les trois derniers jours, ne laissant ainsi plus que ceux du rang un pour le dernier jour du tournoi ; c’était un peu la finale des finales. De la centième à la deux-centième place, la répartition s’était faite sur la base des points obtenus dans la matrice des dix mille morts.
Qin Xingxuan avait terminé cent soixante-neuvième, et Ling Sen soixante-douzième ; soit d’excellents résultats pour des artistes martiaux des trente-six pays.
Trois membres du Royaume du Grand Avenir étaient parvenus à atteindre le top deux cent, pour le plus grand bonheur de Qin Ziya.
Son euphorie était encore plus grande concernant Lin Ming ; le jeune homme lui avait donné plus qu’une bonne surprise. Tout devenait possible après sa victoire contre Mugu Buyu. Une fois champion des Sept Profondes Vallées, Qin Ziya obtiendrait la Pilule Ouverture du Paradis dont il rêvait tant.
Combien d’artistes martiaux couraient après le Xiantian toute leur vie durant ? Pourtant détaché et désintéressé, Qin Ziya ne faisait pas exception, et il bouillonnait tout naturellement d’excitation à la perspective de l’atteindre à son tour.
Ce qui ne l’empêchait pas d’être parfaitement lucide quant au fait que le Xiantian marquerait probablement la fin de son voyage sur la voie des arts martiaux. Il comptait parmi les meilleurs des maîtres au sommet du Houtian et rares étaient ceux qui, à ce niveau, pouvaient lui tenir tête. En revanche, une fois au Xiantian, il ne serait plus qu’un artiste martial Xiantian ordinaire, de ceux qui finissent par être dépassés par les génies les plus talentueux.
Mais cela ne le gênait pas, il était satisfait du chemin parcouru. Qui sait combien de personnes à travers le Continent du Grand Dévers étaient restées bloquées à la frontière entre le Houtian et le Xiantian ? Ceux-là étaient morts sans n’avoir jamais pu accomplir leurs rêves…
En arrivant sur la place, Lin Ming vit un homme d’âge respectable et habillé de bleu lui sourire avec gentillesse, une épée longue accrochée dans le dos. Sa présence lui sauta immédiatement aux yeux. Le vieil homme se tenait là comme si de rien n’était, pourtant, une aura pareille à une lame flottait autour de lui, capable de trancher n’importe quoi.
Maître à l’extrême Xiantian ?
Le cœur de Lin Ming sursauta. Les Sept Profondes Vallées ne comptaient qu’une poignée de maîtres de ce calibre ; plusieurs des souverains de factions n’ayant jamais réussi à atteindre l’extrême Xiantian.
« Lin Ming, salua l’aîné avec le même sourire amical, comme s’il s’adressait à un proche. Le contraste était saisissant avec l’aura tranchante qui l’entourait.
— Aîné, répondit Lin Ming en s’inclinant avec respect.
— Assure-toi de venir me voir au Pic de la Lame Tranchante une fois que le tournoi sera terminé. Ce vieil homme se nomme Jiang Wuji.
Jiang Wuji … Lin Ming inspira une bouffée d’air frais. Il se tenait devant le souverain de la Faction des Épéistes !
Il avait beau trouver une certaine fierté dans son statut et ses capacités, face à des individus de cette trempe, il n’avait pas d’autre choix que de faire preuve de déférence.
— Entendu. » Il se doutait plus ou moins de ce que Jiang Wuji voulait lui proposer. Quoiqu’il en soit, le souverain de la Faction des Épéistes l’avait invité en personne ; refuser aurait été impensable.
Un rire franc se fit alors entendre : « Jiang Wuji, espèce de petit roublard. »
La voix paraissait si éloignée au début, et pourtant si proche. Lin Ming tourna la tête et vit un homme élégant approcher avec sa robe blanche. Les quelques dizaines de mètres qui les séparaient s’estompèrent sans qu’il ne s’en aperçoive, comme si la distance se rétrécissait d’elle-même.
C’était lui aussi un maître à l’extrême Xiantian !
Les yeux de Lin Ming tressaillirent. Il ne savait pas exactement combien ils étaient dans les Sept Profondes Vallées, mais il pouvait dire sans trop d’hésitation qu’ils partageaient le même rang que les souverains de factions. Dans le Royaume du Grand Avenir, le roi lui-même tremblerait en les voyant. Bien qu’aucun roi du monde des mortels n’ait les qualifications pour rencontrer de tels individus.
« Le tournoi n’est pas encore fini que ta faction est déjà en train d’essayer de récupérer ce jeune talent ? Lin Ming manie la lance, pas l’épée. Cela ne lui servirait à rien de rejoindre ta faction de bretteurs. Et puisqu’on en est là, il vaudrait mieux qu’il rejoigne ma Faction Acacia ! s’exclama l’homme à la robe blanche avec un sourire plein d’assurance, avant de tapoter l’épaule de Lin Ming avec tendresse et affection.
L’attitude provocatrice et parfois indécente avec laquelle il se comportait ne collait pas du tout avec son statut élogieux.
— Ma Faction Acacia, répéta-t-il immédiatement. As-tu seulement la moindre idée de ce que ma faction a à t’offrir ? Imagine un peu, des milliers de déesses à ta disposition. Si l’une d’elles te plaît, tu n’as qu’à la prendre avec toi. Ma faction peut satisfaire n’importe lequel de tes désirs. Des filles de ton âge, des femmes d’une vingtaine d’années, voire des plus âgées. Nous avons des femmes mûres et pleines d’expériences, riches de connaissances en tout genre. Aussi étrange que cela puisse paraître, tu ne sauras pas faire la différence avec une jeune de vingt ans. Tu pourras obtenir absolument tout ce que tu souhaites. Des mères avec leurs filles, des sœurs, des jumelles… tout ce que tu peux imaginer dans tes rêves les plus fous ! Sans compter qu’avec ton statut, ces femmes se battront pour grimper dans ton lit. Elles se creuseront la tête et feront tout ce qu’elles peuvent pour te satisfaire. N’est-ce pas là la plus belle vie à laquelle un homme puisse aspirer ? »
Lin Ming resta complètement abasourdi par ce qu’il venait d’entendre. Le rire gras du souverain de la Faction Acacia résonnait encore dans ses oreilles. Si ce n’est pour son niveau de cultivation, il n’aurait jamais pu imaginer qu’il avait affaire à un souverain des Sept Profondes Vallées. Mais en se remémorant quel genre d’endroit était la Faction Acacia, et à quel genre de pratiques charnelles ils s’adonnaient, il se dit que tout cela n’était pas si surprenant.
« Mm ? Ne me dis pas que tu n’es pas intéressé ? s’impatienta le souverain de la Faction Acacia, surpris qu’il ne réagisse pas. Il était déjà en train de se demander si Lin Ming n’était pas impuissant, ou s’il n’avait pas une orientation sexuelle différente.
D’abord désemparé, l’intéressé finit par lui répondre : — Merci pour cette aimable proposition, Souverain, mais rejoindre une secte n’est pas un choix à prendre à la légère, d’autant plus que de nombreuses choses sont en jeu. Pour être honnête, je n’ai tout simplement pas pris le temps d’y réfléchir sérieusement. »
Selon les coutumes du Royaume du Grand Avenir, la question du mariage commençait à se poser à son âge. De toute manière, il lui était impossible de ne pas éprouver de désirs, comme n’importe quel jeune homme. Mais les méthodes de cultivation de la Faction Acacia n’avaient aucun intérêt à ses yeux, d’une part parce qu’elles étaient trop faibles, et d’autre part parce qu’il ne se voyait pas du tout utiliser une femme pour avancer dans le pouvoir divin acacia.
« Ha, ha ! évidemment, il faut que tu prennes le temps de bien réfléchir ces choses-là. En tout cas, n’hésite pas à te rendre à ma Faction Acacia une fois que le tournoi sera fini. J’ai fait préparer quelques cadeaux pour toi. » Son sourire lascif ne laissait aucun doute quant à la nature de ces ‟cadeaux.”
Lin Ming se demanda s’il valait mieux en rire ou en pleurer.
Jiang Wuji avait conservé la même expression calme et placide malgré l’apparition d’un autre souverain des sept factions. Il n’y avait pas plus d’harmonie que de bonne volonté entre les deux plus grandes factions de la secte, la Faction des Épéistes et la Faction Acacia. Les premiers s’évertuaient à suivre à une voie juste et honorable, tandis que les seconds s’abandonnaient au mal en cherchant à assouvir tous leurs désirs terrestres. Ils ne pouvaient tout simplement pas s’entendre.
Alors que les souverains des deux plus grandes factions des Sept Profondes Vallées se regardaient en chiens de faïence, le tournoi, lui, avait déjà commencé. Seuls six participants devaient encore combattre ; à savoir Lin Ming, Qin Wuxin, Jiang Lanjian, Jiang Baoyun, Mugu Buyu et Ouyang Ming.
Ces six individus étaient destinés à occuper les six premières places du Tournoi des Factions de cette année.
Le premier à rentrer dans l’arène fut Mugu Buyu. Il avait déjà eu le temps de récupérer un nouveau set de marionnettes. Réparer une poupée particulièrement endommagée pouvait s’avérer pénible et compliqué, d’autant plus que ça nécessitait beaucoup de temps. Mugu Buyu n’avait donc pas eu d’autre choix. Évidemment, leur puissance était nettement inférieure à celle de la combinaison précédente.
Pourtant, malgré ce sérieux désavantage, sa force n’en restait pas moins exceptionnelle. Il n’eut ainsi aucun mal à l’emporter contre Qin Wuxin, dont la musique ne parvint pas du tout à franchir son champ de force de véritable énergie.
Après quoi ce fut au tour d’Ouyang Ming et de Jiang Lanjian de s’affronter. Et si les attaques du bretteur étaient rapides et tranchantes, en fin de compte, il fut incapable de prendre l’ascendant sur son adversaire et il perdit.
De cette manière, les cinquième et sixième places furent arrêtées. Qin Wuxin finissait cinquième, et Jiang Lanjian sixième.
S’ouvrait désormais la lutte pour les quatre premières places du tournoi.
Ouyang Ming se retrouvait contre Jiang Baoyun.
Cette bataille suscitait un intérêt tout particulier de la part du public. Puisqu’à l’origine, tout le monde s’attendait à ce que ce soit l’affrontement final.
Jiang Baoyun dégaina son épée pour la première fois depuis le début du tournoi, ce qui causa un grand émoi à travers les gradins. Le fourreau qu’il portait dans son dos contenait deux épées ; l’une était bleue, et l’autre noire. Leurs lames étaient longues et effilées. La première était recouverte d’écailles aux reflets vert clair et dégageait une lueur glaciale.
L’épée noire, de son côté, était insérée dans un fourreau. Il ne s’agissait néanmoins pas d’un fourreau ordinaire, celui-ci semblait taillé dans une pierre sombre à l’apparence vraiment étrange.
Ces deux épées attirèrent aussitôt l’attention des spectateurs. Lin Ming les observa longuement et non sans une certaine appréhension. Il avait le pressentiment que ces deux épées cachaient quelque chose.
Jiang Baoyun était parvenu à arriver jusqu’ici sans dégainer une seule d’entre elles – prouesse qui parlait d’elle-même pour illustrer son talent. Et alors qu’il se décidait finalement à dégainer son arme, il avait en fait deux épées. Cela ne fit qu’amplifier l’euphorie qui régnait déjà dans les gradins.
« Je ne savais pas que Jiang Baoyun maniait deux épées…
— C’est impossible. La Faction des Épéistes des Sept profondes Vallées pratique uniquement le combat à une lame. Et puis ce n’est vraiment pas orthodoxe de manier deux épées. Jiang Baoyun ne ferait pas quelque chose d’aussi stupide, il n’est pas du genre à négliger la fondation principale de la voie de la lame. »
Combattre avec deux épées pouvait s’avérer avantageux dans certaines situations. Cependant, un véritable bretteur ne possédait qu’une seule lame ; c’était là la voie royale de l’épée. Les plus grands épéistes de tous les temps utilisaient d’ailleurs presque tous une seule épée. Même si, dans des temps reculés, un bretteur légendaire du nom de Wang Chengsheng s’était illustré par son style à deux lames.
Une fois le match commencé, Jiang Baoyun laissa l’épée noire dans son fourreau. Il combattrait uniquement avec la bleue. La vive lumière qui s’en dégageait était pareille à un arc-en-ciel verdoyant descendant du ciel. Les flammes libérées par Ouyang Ming furent balayées d’un seul coup.
Avec cette épée en main, l’aura de Jiang Baoyun n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle était. Dès le début du match, le combat fut complètement à sens unique. En tout juste dix respirations, Ouyang Ming reconnaissait sa défaite et Jiang Baoyun était déclaré vainqueur.
L’épée bleue retourna dans son étui sans qu’il ait eu besoin d’utiliser la seconde.
Il transportait deux épées avec lui, mais se servait seulement d’une seule d’elles ?
Personne n’était prêt à croire que cette épée noire servait simplement à décorer. Elle contenait certainement un pouvoir terrifiant, pouvoir qu’Ouyang Ming avait tout simplement été incapable de le forcer à révéler.
Si Jiang Baoyun pratique le style à deux épées , la seconde doit être liée à une technique spéciale …
Lin Ming avait toutes les peines du monde à le cerner convenablement. Il devait forcément avoir une raison pour arborer constamment cette expression calme et pleine d’assurance.
Plus le temps passait et plus les spéculations allaient bon train dans les gradins à propos de sa deuxième épée. Tout le monde avait bon espoir de la voir utilisée contre Mugu Buyu. Mais ils furent rapidement déçus.
Lorsque l’arbitre annonça la rencontre entre Jiang Baoyun et Mugu Buyu, le bretteur refusa tout bonnement de participer.
« Pourquoi refuses-tu de m’affronter, Jiang Baoyun ? demanda Mugu Buyu, le visage déformé par une grimace hideuse.
— Je ne souhaite pas gagner de cette manière, répondit calmement l’intéressé. Ton Dieu du Feu Démoniaque est détruit et ta Tortue d’Or Pourpre est salement amochée. En l’état, notre match n’aurait aucun intérêt.
Mugu Buyu serra les dents en ricanant : — Alors c’est donc de la pitié… Penser que moi, Mugu Buyu, chuterait un jour du ciel pour en arriver là, à faire l’objet de compassion…
Peu importe à quel point il haïssait Jiang Baoyun, il était bien obligé de reconnaître qu’il ne faisait pas le poids dans son état actuel.
— Nul besoin de tergiverser, reprit Jiang Baoyun. Pour le moment, je crains que tu ne réussisses même pas à me faire dégainer mon épée de cristal noir. Viens me trouver lorsque tu auras entièrement récupéré, et là nous verrons qui est le gagnant et qui est le perdant ! »
Leur match fut ainsi reporté à plus tard, et Ouyang Ming hérita de la quatrième place. Il ne restait plus qu’un seul combat à disputer, et celui-ci allait décider qui de Jiang Baoyun ou de Lin Ming serait le champion des Sept Véritables !