Jiang Lanjian retourna s’asseoir à sa place et observa Lin Ming en silence. Se tournant vers Jiang Baoyun qui était assis à ses côtés, il lui dit : « Lin Ming pourrait être amené à rejoindre la Faction des Épéistes. Si cela arrive, il prendra probablement la place de premier disciple de la faction et de plus puissant artiste martial de la jeune génération des Sept Profondes Vallées.
— Peut-être, répondit laconiquement l’intéressé.
— Ça ne t’inquiète pas ? Jiang Lanjian le regarda dans les yeux avec l’espoir d’y trouver une forme de réponse.
— Pourquoi devrais-je m’inquiéter ?
— Eh bien parce qu’il pourrait te piquer ta position et te prendre les ressources qui l’accompagnent. Pour le moment, tu es sans doute le disciple le plus prometteur de toute la jeune génération de la secte, et un talent comme on en a plus vu dans la faction depuis plus d’un siècle ! Les Sept Profondes Vallées feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que tu atteignes des sommets, mais avec l’arrivée de Lin Ming…
Jiang Lanjian ne faisait qu’exprimer le sentiment que n’importe qui aurait pu avoir à sa place. Aussi abondantes qu’elles soient, les ressources de la secte n’en restaient pas moins limitées.
— Me prendre mes ressources ? répéta Jiang Baoyun en riant. Ha ! ha ! crois-tu vraiment qu’on puisse produire un maître Xuandan en gavant quelqu’un de ressources ?
Jiang Lanjian se figea en l’entendant. Il n’avait pas tort. On pouvait amener artificiellement quelqu’un à la Condensation de l’Impulsion ou au Houtian en usant et en abusant de matériaux précieux, voire jusqu’au Xiantian si l’on était suffisamment riche ou désespéré pour gaspiller plusieurs dizaines de Pilules Ouverture du Paradis. En revanche, il était complètement impensable de réussir à donner vie à un maître Xuandan en utilisant cette méthode. N’importe lequel de ces soi-disant génies allait rencontrer toutes les peines du monde à l’approche du Xuandan, et aucun d’entre eux ne réussirait à l’atteindre.
— Quelqu’un qui n’attend et ne désire rien d’autre de sa secte que les ressources qu’elle peut lui apporter ne pourra jamais conserver un cœur des arts martiaux pur et résolu. Ce genre de personne n’ira jamais loin, asséna-t-il en se lançant dans une sorte de profession de foi. Quant à moi, je suis un épéiste, la seule vérité que je connaisse se trouve entre mes mains. Je ne compte sur rien d’autre que mon épée, et sûrement pas sur les ressources d’une secte de grade trois comme les Sept Profondes Vallées. Penses-tu vraiment qu’on puisse tenir la comparaison avec la Montagne du Paon ou l’Île du Phénix Divin ? Lorsque nous, “génies”, nous trouvons à la Condensation de l’Impulsion, notre force peut rivaliser avec des artistes martiaux ordinaires au milieu du Houtian, voire à l’avancée du Houtian. Ça peut sembler incroyable dit comme ça, mais en réalité ces artistes martiaux nous seront inférieurs toute leur vie et l’étaient déjà à notre naissance. Ils ne parviendront jamais jusqu’au Xiantian. Ainsi, une fois que nous y arriverons nous-mêmes, il n’y aura plus que des maîtres autour de nous, certains plus riches et plus talentueux encore ! Alors comment pourrais-je prétendre atteindre un jour le Xuandan si je ne suis pas capable de sortir du lot et de me démarquer de ces “génies” ? Mon objectif est clair, poursuivre la voie de l’épée et découvrir ce qui se trouve au bout du chemin. Je ne crains pas d’avoir des rivaux, bien au contraire, ma plus grande peur serait de ne jamais rencontrer d’adversaire à ma taille ! Et si un jour un talent sans pareil du Continent du Grand Dévers venait à apparaître devant moi et que je réussissais à dépasser son ombre, là je deviendrais l’un des vrais héros de notre ère !
Jiang Baoyun parla comme s’il regardait le monde depuis le sommet de la plus haute montagne. Ému, Jiang Lanjian ressentit un élan d’ardeur en l’écoutant. Son talent était indiscutable, pourtant, il avait toujours été un pas derrière Jiang Baoyun, et ce peu importe ce qu’il faisait.
— Tu as raison, mon frère, répondit-il. Nous, épéistes, ne souhaitons rien davantage qu’avoir un puissant adversaire ! »
…
Les matchs qui suivirent celui de Lin Ming et Jiang Lanjian furent nettement plus tranquilles, à tel point que la sixième série s’acheva sans aucun autre combat marquant.
La septième série de matchs suivit dans la foulée, et dès le cinquième match, Zhang Yanzhao se retrouva face à Fang Qi. L’archimage utilisa encore une fois la matrice des Neuf Cercles de Lumière Bleue, mais les Trois Morsures du Roi Sanguinaire de Zhang Yanzhao n’en firent qu’une bouchée.
Ce fut une nouvelle défaite cuisante pour Fang Qi.
Il ne pouvait tout simplement rien faire ; les disciples de la Faction des Archimages étant bien plus doués pour des batailles de position, tandis que Zhang Yanzhao possédait une puissance d’attaque parmi les plus redoutables de tous les participants. Fang Qi était pareil à une forteresse, et les Trois Morsures du Roi Sanguinaire à un glissement de terrain. Face à cette attaque, les Neuf Cercles de Lumière Bleue n’étaient rien d’autre que de fragiles coquilles d’œufs.
Huitième série, troisième match ; Zhang Yanzhao contre Jiang Lanjian, la force brute contre la volatilité du vent.
L’énergie d’épée de Jiang Lanjian se transforma en un trait fin de véritable énergie compressée et des dizaines de faisceaux lumineux s’élancèrent en une fraction de seconde, formant comme une gigantesque toile d’araignée.
Cette énergie compressée à l’extrême était particulièrement tranchante, en plus d’être quasi indestructible.
Sans même utiliser le concept de vent, Jiang Lanjian venait de placer son adversaire dans une situation critique.
Son épée était tel un serpent venimeux. Elle s’abattait à chaque fois là où la véritable énergie de son adversaire était la plus faible, ne lui laissant aucune chance de contre-attaquer.
Zhang Yanzhao se retrouva rapidement submergé par cet assaut ininterrompu, les rayons d’énergie l’empêchant de mobiliser toute sa force. À chaque tentative de riposte, son épée frappait une ombre, sans jamais parvenir à toucher ne serait-ce que les vêtements de Jiang Lanjian.
À l’inverse, les manches et le pantalon de Zhang Yanzhao étaient arrachés en lambeaux par le vent d’épée. Jiang Lanjian retenait visiblement ses coups…
Conscient qu’il ne faisait pas le poids, Zhang Yanzhao rengaina son sabre ; poursuivre ce combat ne rimait à rien. Jiang Lanjian lui avait déjà témoigné suffisamment de respect en le laissant faire mine de résister, étirer le combat ne ferait que le déshonorer.
« Je reconnais ma défaite, s’exclama-t-il.
— Bien combattu », lui répondit Jiang Lanjian en serrant ses poings pour le saluer, et il s’en alla. Il avait frappé un nombre incalculable de fois avec son épée, mais sans utiliser beaucoup de véritable énergie, tandis que Zhang Yanzhao, qui avait déployé des vagues massives d’énergie pour essayer de le contrer, était déjà à bout de souffle.
Une trop grande disparité les séparait.
Zhang Yanzhao était déjà résigné sur l’issue du combat avant même qu’il n’ait commencé. En revanche, il ne s’attendait pas à perdre sans que son adversaire ait besoin d’utiliser le concept de vent.
« Les choses sont telles qu’elles doivent être. Yanzhao n’a pas perdu sans raison. » Les Aînés de la Famille Zhang ne purent que soupirer avec résignation. Ils n’avaient pas bien cerné la force de Jiang Lanjian durant son combat avec Lin Ming. Mais maintenant que Zhang Yanzhao l’avait affronté, l’écart apparaissait très clairement. Il n’était même pas parvenu à pousser son adversaire à utiliser toutes ses capacités.
Et dire que Lin Ming était parvenu à vaincre un adversaire pareil…
Huitième série, dixième match ; Jiang Baoyun contre Mugu Jirong, disciple numéro deux de la Faction des Marionnettistes.
L’issue du combat ne faisait aucun doute. Personne n’aurait parié le moindre tael d’or sur le marionnettiste. Sans compter que Mugu Jirong avait perdu ses trois pantins dans les flammes de Huo Yanluo.
Jiang Baoyun ne prit même pas la peine de sortir son épée. Utilisant uniquement ses doigts, il n’eut aucun mal à transpercer le bouclier de véritable énergie de son adversaire.
« Victoire de Jiang Baoyun ! »
Aussi attendue qu’elle puisse être, l’annonce de l’arbitre en surprit plus d’un tant elle fut soudaine.
Quoique sa puissance de combat ait drastiquement chuté, Mugu Jirong n’en restait pas moins le disciple numéro deux de la Faction des Marionnettistes ; une des factions les plus craintes de la secte, et à raison !
Mugu Jirong n’avait eu aucun mal à prendre le dessus sur Huo Yanluo lors de leur combat ; le disciple direct de la Faction des Forgerons ne devant sa victoire qu’à l’irruption inattendue de son Esprit de Feu.
Et pourtant, ce même Mugu Jirong venait de se faire laminer par Jiang Baoyun sans réussir à lui opposer la moindre résistance. Les deux participants étaient à des niveaux radicalement différents.
« Jiang Baoyun est bien trop fort ! Il n’a pas dégainé son épée une seule fois depuis le début du tournoi ! Ses doigts lui ont suffi à balayer n’importe lequel de ses adversaires…
— La Faction des Épéistes a toujours dominé les autres factions des Sept Profondes Vallées. Et Jiang Baoyun est probablement le disciple le plus talentueux qu’ils aient eu en plus d’un siècle. Sa force est déjà bien au-delà de ce que des personnes comme nous peuvent imaginer. Quant à Jiang Lanjian, il n’aurait pas à rougir devant n’importe lequel des anciens disciples directs de la Faction des Épéistes. Qui parmi les six autres factions de la secte pourrait le vaincre ? Regardez donc son combat avec Zhang Yanzhao, il l’a emporté sans même utiliser le concept de vent !
— C’est vrai, il a perdu contre Lin Ming uniquement parce que c’est un monstre, et sûrement pas parce qu’il est faible ! Je ne doute pas une seule seconde qu’il termine dans le top six ! »
…
En quittant l’arène, Jiang Baoyun remarqua que Mugu Buyu l’observait en ricanant avec un drôle de sourire.
Ces deux-là étaient clairement les favoris pour le titre de champion des Sept Profondes Vallées de ce Tournoi des Factions. S’agissant d’Ouyang Ming, s’il avait rayonné par ses prouesses trois ans plus tôt, il était désormais complètement éclipsé par leur ombre.
« Tu es bien cruel, Jiang Baoyun. Je suis curieux de voir combien de temps tu pourras continuer à cacher ton épée ! marmonna Mugu Buyu. Ecraser Mugu Jirong à mains nues comme il venait de le faire était vraiment déshonorant pour la Faction des Marionnettistes. Et Mugu Buyu ne détestait rien sinon de se faire ridiculiser.
— Je ne la “cacherai” plus bien longtemps, lui répondit l’intéressé en souriant, mais… ce n’est pas de moi que tu devrais te soucier, inquiète-toi donc pour toi. Tes petits jouets pourraient partir en fumée contre Lin Ming…
— Lin Ming ? Héhéhé ! Tu crois que je suis aussi pitoyable que Jiang Lanjian ? ricana-t-il. J’espère que tu auras encore quelques cartes à abattre lorsque notre combat viendra, Jiang Baoyun. Sinon je crains que tu ne sois pas capable de me pousser à devenir sérieux ! »
Le bretteur se contenta de sourire sans rien répondre. Mugu Buyu était un adversaire redoutable, cela ne faisait aucun doute, mais son instinct lui dictait que la véritable menace venait de Lin Ming !
…
« Neuvième série, premier match ; Huan Xiaodie contre Mugu Buyu ! »
Lorsque la belle et charmante Huan Xiaodie prit pied dans l’arène avec un sourire radieux sur le visage, tout le monde pensa qu’une bataille féroce allait se jouer. Lin Ming lui-même regardait avec attention dans l’espoir d’en apprendre un peu plus sur Mugu Buyu. Ainsi, personne ne s’attendait à ce que Huan Xiaodie déclare forfait immédiatement après que l’arbitre eut annoncé le début du combat.
Une vague d’étonnement traversa les gradins. Lin Ming était complètement abasourdi. Même Fang Qi, souvent considéré comme le plus faible des disciples directs, avait combattu pour la forme, poussant son adversaire à révéler Intégration de l’Esprit.
Si elle était plus forte que Fang Qi, cette Huan Xiaodie ne semblait en revanche pas fort préoccupée par son titre de disciple directe. Elle n’avait eu aucune gêne à déclarer forfait dès que possible.
Les spectateurs se lamentèrent du fait que le combat splendide qui s’annonçait n’ait pas lieu. Leur déception ne fut toutefois que de courte durée, l’euphorie déclenchée par l’annonce du match suivant l’emportant avec elle.
« Neuvième série, troisième match ; Lin Ming contre Qin Wuxin ! »
La Faction de la Cithare était probablement la plus discrète de toutes les factions de la secte. Ils n’étaient pas nombreux, mais leurs disciples étaient tout sauf faibles. Ils disposaient au contraire d’un panel de méthodes d’attaque des plus étrange et des plus diversifié qui les rendait particulièrement difficiles à affronter.
Qin Wuxin était elle aussi une jeune fille discrète et réservée. La plupart des gens savaient uniquement qu’elle était jeune et qu’elle avait atteint le Large Succès de son Cœur de la Cithare. Pour le reste, c’était le flou le plus total. Personne n’aurait pu dire où elle se situait exactement.
Lin Min n’en savait naturellement pas davantage à son sujet, en revanche, il avait une assez bonne idée de ce que signifiait « atteindre le Large Succès du Cœur de la Cithare. »
Une fois arrivé au sommet du Houtian, Qin Ziya s’était vu remettre une Pilule ouverture du Paradis pour progresser jusqu’au Xiantian, mais il avait échoué à cause d’une imperfection dans son Cœur de la Cithare.
Suite à ce revers douloureux, il avait entrepris un long voyage pour explorer le monde, traversant monts et vallées et méditant sur son art, jusqu’à ce que, près d’une décennie plus tard, il réussisse à atteindre le Large Succès de son Cœur de la Cithare.
À l’origine, Qin Ziya était un musicien particulièrement talentueux. Les arts martiaux étaient arrivés tardivement dans sa vie, sans quoi il serait probablement déjà au Xiantian. Et pourtant, il lui avait tout de même fallu une décennie à parcourir le monde à la recherche de l’inspiration pour réussir à amener son Cœur de la Cithare à la perfection. Comparé à la jeune Qin Wuxin, l’écart était plus que considérable.
