Lin Ming acheva son bol de bouillon et s’essuya les lèvres.
« Comme on peut s’y attendre d’une grande secte, dit-il. Un artiste martial ordinaire ne soupçonne même pas l’existence de ce genre de choses, alors y avoir accès…
J’ai rencontré une aînée durant mon voyage qui se nourrit exclusivement de fruits spirituels et boit l’eau de la rosée d’une matinée de printemps. Son corps ne comporte pas la moindre trace du feu et de la fumée du monde des mortels, et elle n’est pas contaminée par l’air Houtian. »
Qin Xingxuan attrapa son bol et le resservit, avant de demander : « Manger ces mets délicats ne coûte-t-il pas des dizaines de pierres de véritable énergie chaque jour ?
— Si, inévitablement. Mais combien penses-tu qu’il en sort tous les ans des mines du Royaume du Grand Avenir ? Quatre-vingt-dix pour cent de cette production est envoyée à la secte. Et nous ne sommes qu’un seul pays parmi les trente-six sous son contrôle. Toutes les ressources médicinales, les matériaux et les minerais précieux convergent ici chaque jour. Les disciples directs des Sept Profondes Vallées disposent probablement de plusieurs milliers de pierres de véritable énergie tous les mois. Ils pourraient sans doute manger ici tous les jours sans même s’inquiéter pour leurs finances. Sans doute mangent-ils des mets encore plus raffinés que ceux-ci !
— Il y a un tel gouffre entre eux et nous », soupira Qin Xingxuan. Elle appartenait à la plus haute aristocratie du Royaume du Grand Avenir, et pourtant, ici, elle devait faire attention à chaque repas par peur de ne pas pouvoir payer.
Dans le Royaume du Grand Avenir, les artistes martiaux ordinaires devaient constamment prendre des risques pour obtenir une poignée d’herbes médicinales. Quand une grande majorité d’entre eux n’avaient tout simplement pas les moyens d’acheter quoi que ce soit et se retrouvaient avec des blessures internes un peu partout à travers leur corps. Passé la quarantaine, ces artistes martiaux finiraient invalides. Un sentiment de mélancolie et d’impuissance traversa Qin Xingxuan en y pensant.
Voilà quelle disparité les artistes martiaux et les hommes en général devaient affronter dès la naissance.
La plupart de ceux qui se lançaient dans les arts martiaux le faisaient avec l’objectif d’atteindre la Condensation de l’Impulsion. Mais ils pouvaient s’entraîner avec diligence toute leur vie durant que cela ne porterait aucun fruit. Il en était du moins ainsi pour les artistes martiaux du Royaume du Grand Avenir. Car, de leur côté, il suffisait à ceux issus des sept factions de manger et de dormir tout en s’entraînant de temps en temps pour être assurés de parvenir à la Condensation de l’Impulsion, voire jusqu’au Houtian. Si leurs parents étaient des aînés des Sept Profondes Vallées, ils recevraient un enseignement spécifique et des ressources considérables et, avec une ou deux Pilules Ouverture du Paradis, ils finiraient par devenir à leur tour des maîtres Xiantian.
Qin Xingxuan observait Lin Ming en silence lorsqu’elle réalisa tout à coup : ne vient-il pas lui-même d’une famille ordinaire ? Quel prix a-t-il payé pour en arriver là ? Quel genre de dangers a-t-il affrontés pour forcer le destin ?
Sa mélancolie n’en fut que renforcée. Lin Ming possédait une perception extraordinaire, comme personne n’en avait jamais vu auparavant. Quels sommets aurait-il pu atteindre s’il était né dans une grande secte ?
« À quoi penses-tu ? » lui demanda-t-il après avoir bu d’un seul trait son deuxième bol de bouillon. Elle le regardait sans rien dire et semblait perdue dans ses pensées.
« Rien de particulier. Je me faisais simplement la réflexion que ce monde est vraiment injuste. Un artiste martial ordinaire peut passer sa vie entière à s’entraîner comme un acharné sans jamais avoir la moindre chance d’arriver à la cheville de ces jeunes disciples des Sept Profondes Vallées.
— Eh ! oui, la vie est injuste. Mais je pense qu’on a toujours le choix, soit voir ça comme une fatalité et se résigner, soit se lever et lutter contre les cieux ! Regarde la légende d’Empereur Shakya, il venait lui aussi d’un milieu modeste. Il a fusionné sept inspirations martiales différentes et a disparu à travers le vide. Alors, certes plus on vient de loin plus c’est difficile, mais le succès n’en est que plus grand. Chaque difficulté, chaque souffrance, chaque injustice traversée sont autant d’occasions de sortir renforcé et plus déterminé que jamais. »
Lin Ming s’exprimait avec un calme imperturbable. Qin Xingxuan réalisa qu’il parlait en fait de lui et de son expérience.
Elle resta silencieuse un moment, avant de tourner la tête et de regarder à travers la fenêtre. Son rythme cardiaque accéléra tandis qu’une pensée étrange se bousculait dans son esprit : réussirais-je à rattraper son ombre ? Il m’a dépassée en à peine six mois… le fossé qui nous sépare ne risque-t-il pas de se creuser avec le temps ?
Ce constat donna naissance à un sentiment douloureux dans son cœur encore jeune, sentiment qui lui était parfaitement inconnu.
À ce moment-là, un groupe d’artistes martiaux richement vêtus entrèrent dans le restaurant. L’un d’eux, qui se tenait à leur tête, s’écria : « Serveur ! Trouvez-nous une table avec de bons plats et deux jarres de Vin d’Os de Dragon !
— Tout de suite, jeunes maîtres. » Le serveur devina instantanément à leur attitude que ces jeunes gens étaient fortunés. Il s’empressa de les accueillir avec un large sourire. Ces individus se comportaient d’une manière parfaitement opposée à celle de Lin Ming et de Qin Xingxuan.
La Fleur du Désert était l’un des meilleurs restaurants de la ville, et probablement l’établissement le plus en vogue auprès des jeunes talents de la secte. Lin Ming les regarda poser leur équipement sur la table ; il y avait uniquement des trésors du degré humain de grade supérieur. De toute évidence, il ne s’agissait pas de n’importe qui.
« J’ai attendu bien assez longtemps ces trois dernières années ! Je n’ai pas pu participer au dernier Tournoi des Factions, mais cette fois, mon talent a été reconnu et j’ai reçu une place. Mon père ne pourra plus jamais rien dire si j’obtiens un bon résultat ! »
L’artiste martial qui venait de parler était à un demi-pas de la Condensation de l’Impulsion et devait avoir aux alentours de dix-huit ans. Il entrerait pleinement dans la dernière étape de la Transformation du Corps d’ici un an ou deux, soit vers dix-neuf ou vingt ans. Seuls Qin Xingxuan et Lin Ming pouvaient rivaliser avec lui en matière de cultivation dans le Royaume du Grand Avenir.
Sans compter que, à en juger par l’assurance qui transpirait de chacun de ses mots, non seulement sa cultivation était élevée, mais ses capacités au combat dépassaient sans doute celle d’un artiste martial de niveau similaire. Il ne pouvait pas en être autrement d’un disciple prenant part au Tournoi des Factions.
« Ha, ha ! Tu es trop humble, frère Ouyang. Moi je suis certain que tu atteindras le top cent !
— Ça risque d’être compliqué. Il faudrait que je sois à la Condensation de l’Impulsion pour pouvoir y arriver. Après, j’ai de grandes chances de finir dans le top cent cinquante si je me débrouille bien.
— Pff ! ne fais pas le modeste. Tout le monde sait que ton Pouvoir Divin Acacia se trouve déjà au quatrième échelon ! Combien de disciples à la Condensation de l’Impulsion sont encore bloqués au troisième échelon ? En matière de combat, ta force réelle correspond à celle d’un artiste martial à la moitié de la Condensation de l’Impulsion, frère Ouyang. Le meilleur disciple au sommet de la Condensation de l’Impulsion de ces péquenauds des trente-six pays ne ferait même pas le poids face à toi ! »
Le jeune homme répondant au nom d’Ouyang porta son verre de vin à ses lèvres d’un air satisfait. Il s’agissait d’Ouyang Ziyun, un des disciples de la Faction Acacia participant au Tournoi des Factions.
« Sans rire, n’évoque pas ces blaireaux des trente-six pays, c’est insultant. Compare-moi à la limite aux seize familles de cultivateurs martiaux ! Eux ont au moins un certain héritage à faire valoir et quelques capacités. Il y en aura sûrement des talentueux dans le lot.
— Es-tu en train de dire que Zhang Yanzhao de la Famille Zhang pourrait atteindre le top vingt ? Même si ça arrivait, il reste largement inférieur aux disciples directs de nos Sept Profondes Vallées. Sans parler de toi, frère Ouyang, même nous, nous pourrions balayer d’un revers de la main la grande majorité de ces ‘talents’ des trente-six pays et des seize familles de cultivateurs martiaux.
— Ah, ah, ah ! »
Qin Xingxuan arbora une expression agacée et irritée en entendant leurs rires résonner à travers la grande salle de la Fleur du Désert. « Ces types sont trop arrogants ! lâcha-t-elle en fronçant les sourcils.
— La force détermine le statut. Il est naturel que ces disciples des Sept Profondes Vallées méprisent les trente-six pays et les seize familles de cultivateurs. Ils auraient toutefois mieux fait de regarder autour d’eux avant de brailler de la sorte. Il n’y a pas seulement des disciples de la secte dans ce restaurant. » Lin Ming pointa discrètement un autre coin de la salle du doigt en parlant. Qin Xingxuan regarda dans la direction qu’il lui indiquait et vit un groupe de jeunes se lever d’une table voisine, trois hommes et une femme. Ils se dirigèrent aussitôt en direction des disciples des Sept Profondes Vallées avec des mines bien sombres.
Ouyang Ziyun les remarqua immédiatement. Un emblème de dragon doré brodé à hauteur de la poitrine sur leurs robes indiquait qu’ils venaient de la même famille.
Il les balaya rapidement du regard en prenant le soin d’analyser leur cultivation. Le chef de ces minables était à l’ouverture de la Condensation de l’Impulsion, et les autres seulement au Façonnage Osseux.
Il avait beau être à la Condensation de l’Impulsion, ses méridiens venaient en réalité tout juste de s’ouvrir ; ses fondations n’étaient pas solides.
Un sourire radieux se forma sur le visage d’Ouyang Ziyun. Ce type impétueux venait à peine d’atteindre la Condensation de l’Impulsion et se croyait supérieur à tous ceux au Façonnage Osseux, alors même que sa force n’avait pas vraiment augmenté.
Amène-toi, je vais briser ton esprit et te montrer la différence qu’il y a entre un faible comme toi et les disciples des sept factions ! Ouyang Ziyun sourit de plus belle à cette idée.
« Vous dites que vous pouvez balayer d’un revers de la main les disciples de nos seize familles de cultivateurs martiaux ? Très bien. Moi, Long Yun, vous fais face aujourd’hui. Essayez donc ! » les invectiva froidement l’artiste martial à la Condensation de l’Impulsion en arrivant avec son groupe à hauteur de leur table. Il devait avoir la vingtaine et se trouvait probablement ici pour participer au Tournoi des Factions.
« Long Yun de la Famille Long des Montagnes Fleuries ? Humph, et qui crois-tu être avec un nom pareil pour nous parler sur ce ton ? répondit Ouyang Ziyun en jouant avec son verre de vin sans même prendre la peine de se lever.
— Accepte de te battre et tu verras à qui tu as affaire ! » asséna froidement la jeune femme aux côtés de Long Yun en dégainant son épée. Elle ne pouvait pas supporter d’entendre Ouyang Ziyun insulter sa famille.
« Une belle rose doit toujours avoir des épines, ricana-t-il. Je viens d’atteindre le quatrième échelon du Pouvoir Divin Acacia et je recherche justement des femmes talentueuses pour s’entraîner avec moi. Ton physique et ta cultivation sont tout juste passables, mais ça fera l’affaire. Ça t’intéresse ? »
Ouyang et les autres disciples des Sept Profondes Vallées qui l’accompagnaient éclatèrent alors de rire. La jeune femme de la Famille Long devint rouge de colère. Non seulement il leur avait manqué de respect, mais il venait de l’insulter personnellement. Comment aurait-elle pu ne pas être furieuse ?
« Tu le paieras de ta vie ! »
La jeune femme brandit son épée et s’apprêtait à frapper lorsque Long Yun l’arrêta. « Tu n’es pas de son niveau, ma sœur. Laisse-moi lui régler son compte ! »
Long Yun sortit une lance longue de son anneau spatial et adopta une posture étrange.
« Disciple Ouyang ! Aujourd’hui, j’affronterai ton Pouvoir Divin Acacia et on verra bien si tu peux te permettre de parler avec une telle vantardise ! »
Une lueur apparut dans les yeux de Lin Ming en voyant l’arme de Long Yun. Chose assez rare, il utilisait une lance.
Comme le veut l’adage : l’épée comme le jade, le sabre comme le tigre et la lance comme le dragon. En devenant célèbres, de nombreux artistes martiaux décidaient de reprendre le nom de leur arme ou de leur méthode d’entraînement au moment d’établir leur secte ou famille martiale. Par exemple, la fondatrice de la Faction de la Cithare avait pris le nom de famille Qin, qui signifiait littéralement ‘cithare’. Dragon se disant ‘long’, il semblait parfaitement logique pour des artistes martiaux qui maniaient la lance de s’appeler Long.
Lorsque les autres clients du restaurant réalisèrent qu’une bagarre était sur le point d’éclater, non seulement ils ne paniquèrent pas, mais ils regardèrent tous avec attention et impatience. Ils espéraient un grand spectacle pour les divertir pendant qu’ils profitaient de leur nourriture et de leur vin.
Les serveurs, de leur côté, ne partageaient pas vraiment leur enthousiasme. L’un d’eux s’approcha et, débarrassant partiellement la table de ce qui l’encombrait, prit calmement la parole : « Tout ce que vous casserez devra nous être remboursé, jeunes maîtres. Qui du gagnant ou du perdant devra payer ? Que préférez-vous ? »
Lin Ming ne savait pas s’il valait mieux rire ou pleurer devant cette question. C’était surréaliste. Dans le même temps, cela semblait aussi normal. Les clients de ce restaurant étaient avant tout de jeunes artistes martiaux fiers et arrogants. Les disputes devaient être monnaie courante à la Fleur du Désert.
« Le perdant paiera, naturellement », répondit Ouyang Ziyun en se levant de sa chaise, un sourire espiègle sur le visage.
« Laisse-moi t’avertir, disciple Long, le mobilier de ce restaurant n’est pas vraiment bon marché. Si tu veux vraiment te battre, prépare-toi à devoir payer au moins une centaine de pierres de véritable énergie. N’espère pas t’en sortir sans payer les pots cassés une fois vaincu. Le patron de la Fleur du Désert n’est pas n’importe qui. Si tu as peur, il est encore temps de t’agenouiller et d’implorer mon pardon. »
Long Yun déglutit nerveusement en entendant ‘une centaine de pierres de véritable énergie’. Déjeuner ici aujourd’hui avait déjà largement délesté son portefeuille. Il était incapable de débourser cent pierres de véritable énergie. Il n’en avait tout simplement pas les moyens. Mais il ne pouvait pas reculer maintenant.
« Tu penses avoir déjà gagné ? Laisse-moi rire ! Tu vas goûter ma lance ! » s’écria-t-il en faisant un pas en avant. Sa véritable énergie se déversa dans sa lance, avant de s’élancer tel un serpent noir droit vers la poitrine d’Ouyang Ziyun !
